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ni éclairer ni sauver. La neige tombait en abondance, et, dans le court trajet à parcourir, le drap mortuaire, de velours noir, qui recouvrait le cercueil, en fut complètement blanc, symbole d’innocence que les fidèles serviteurs du roi se complurent à faire ressortir. La royauté abolie, tant que durèrent la république et Cromwell, lord Southampton vécut retiré dans son château de Tichfield, dans le Hampshire, étranger aux complots de son parti comme aux pouvoirs nouveaux de son pays, invariablement fidèle à Charles II proscrit, lui transmettant d’utiles avis et tout l’argent dont il pouvait disposer sur sa fortune, très réduite par les séquestres et les taxes, mais ne prenant part ni aux tentatives d’insurrection des royalistes, ni aux alliances avec les républicains mécontens, ni aux menées suivies avec les étrangers. Son bon sens, son patriotisme jaloux et son indolence naturelle s’accordaient pour le retenir dans cette attitude d’inaction et d’honneur. Il apprit un jour que Cromwell, venu dans le Hampshire à l’occasion du mariage de son fils Richard, avait manifesté l’intention de le surprendre par une visite. Lord Southampton s’éloigna sur-le-champ de son château, et n’y revint que lorsque Cromwell eut quitté le comté. Quand la restauration s’accomplit, lord Southampton, malgré son immobilité pendant l’interrègne, se trouva au premier rang parmi les grands seigneurs et les anciens conseillers de Charles Ier, que l’opinion royaliste appelait au pouvoir; il était de plus l’ami particulier du chancelier Hyde, alors en possession de toute la confiance de Charles II. Il fut fait grand-trésorier en même temps que Hyde devint grand-chancelier et comte de Clarendon, et pendant sept ans les deux amis, unis de principes, quoique très divers de caractère, gouvernèrent péniblement un roi sans vertu et sans cœur, une cour intrigante et corrompue, un parti vainqueur et mécontent, et une nation austère, humiliée et irritée, Clarendon, ambitieux, laborieux, passionné pour son église, sa cause, son pouvoir et son rang, luttait avec acharnement contre ses ennemis, anciens et nouveaux, et contre le déclin de sa faveur auprès de son royal pupille devenu son roi. Southampton, moins actif, aimant son sommeil et son loisir, plus libéral d’esprit et de cœur, tourmenté d’ailleurs par la goutte et la pierre, s’acquittait consciencieusement de ses fonctions, faisait de vains efforts pour maintenir quelque ordre et quelque probité dans les finances de la couronne, et souvent triste, dégoûté, malade, laissait éclater, au vif chagrin de Clarendon, son désir de quitter un poste qu’il occupait sans plaisir et sans succès. La France a vu, dans le siècle dernier, deux hommes vertueux et rares, Turgot et Malesherbes, associés ainsi dans l’exercice du pouvoir avec des dispositions à peu près semblables : Turgot plein d’ardeur, de foi, d’espérance et de persévérance;