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rabbinique en Allemagne[1] des renseignemens qui confirment de tout point les peintures de M. Léopold Kompert. L’ami de Lessing et de Lavater, Moïse Mendelssohn, qui tient une si noble place dans les lettres allemandes du XVIIIe siècle, avait exercé aussi une influence beaucoup moins connue, mais tout aussi curieuse à signaler, sur la littérature spécialement hébraïque. Il a écrit en hébreu des journaux très répandus alors, et il a formé avec le poète juif Naftali Wessely une société littéraire dont l’action fut immense. Mendelssohn était le chef d’un libéralisme philosophique qui tendait à détruire l’antique influence des rabbins. Tant qu’il fut dirigé par le Platon du judaïsme, ce mouvement se développa avec une lenteur circonspecte et féconde ; mais bientôt, favorisé par l’esprit général du siècle, il s’accrut avec une telle rapidité, que la tradition hébraïque semblait menacée d’un discrédit complet. Ces témérités amenèrent une réaction qui éclata de nos jours. Entre l’orthodoxie farouche des rabbins et les libertés voltairiennes de la nouvelle école, il y avait place pour une réconciliation habile du judaïsme et de l’esprit européen. Un recueil intitulé le Nouveau Collecteur fut l’organe de cette tentative et fit son apparition en 1809. L’école dont je parle poursuit encore son œuvre ; elle paraît avoir son siège principal en Autriche, et particulièrement en Bohême. Un des plus laborieux ouvriers de cet éclectisme israélite, le docteur Zunz, occupait il y a une dizaine d’années des fonctions importantes à la synagogue de Prague : Cette école a ses littérateurs et ses poètes qui écrivent tous en hébreu et n’ont été révélés au monde littéraire que par l’histoire de M. Delitzsch. Schiller est le maître qu’ils ont choisi ; ils traduisent ses drames, ils imitent ses ballades, et dans la plupart des villes de l’Autriche, à Vienne, à Prague, à Presbourg, les jeunes filles du ghetto récitent les vers de don Carlos comme les jeunes filles de la Souabe chantent les lieder de Goethe et les ballades d’Uhland.

L’historien auquel j’emprunte ces curieux détails déplore amèrement cette introduction de l’élément européen dans la littérature nationale. « Si la poésie juive, dit M. Delitzsch, abandonne ce qui est le centre même de la foi israélite, le sentiment de notre nationalité indestructible et la foi dans nos triomphes à venir, c’en est fait, elle perd tout ce qui faisait sa force, elle est frappée de stérilité et de mort. » en plaintes du critique ne donnent-elles pas une valeur nouvelle à la plaidoirie du romancier ? Les Juifs que M. Kompert met en scène, ce sont bien ceux à propos desquels M. Delitzsch nous signale avec douleur la disparition du vieil esprit ; ce mélange des

  1. Zur Geschichte der judischen Poesie, vom Abschluss der heiligen, Schriften alten Bundes bis auf die neueste Zeit, von Franz Delitzsch ; 1 vol., Leipzig 1836.