envoyée pour leur humiliation plus encore que pour leur ruine[1].
À partir de cette rencontre, chaque jour fut marqué par une victoire. Immobiles dans leurs retranchemens, les Anglais outrageaient Jeanne dans sa pudeur, lui disputant un bien qu’elle mettait au-dessus de la gloire, parce que l’une lui venait de Dieu, et que l’autre était le parfum de son propre cœur ; mais leurs plus fiers chevaliers n’osaient affronter la terrible bannière, et d’assiégés les Français étaient devenus assaillans à leur tour.
Jeanne avait emporté la bastille des Augustins ; il s’agissait d’assaillir la forteresse du pont, dont la prise assurait le déblocus de la place en faisant tomber toutes les défenses anglaises. Plusieurs semaines auparavant, elle avait annoncé à Gien, à Charles VII lui-même, et elle avait répété depuis à nombre de personnes, qu’elle serait blessée dans cet assaut décisif, mais elle en avait en même temps garanti le succès. Or sa parole était désormais l’oracle de l’armée et de la population tout entière, c’était l’évangile de quiconque croyait à la France. Les dispositions militaires furent prises par elle avec une habileté admirable, et Jeanne s’élança au plus fort de la mêlée avec autant d’impétuosité que de sang-froid. Une lutte terrible s’engagea entre la surhumaine confiance des uns et la rage impuissante des autres. Un javelot vint frapper Jeanne au cou, qu’il traversa, ainsi qu’elle l’avait annoncé[2] ; mais, relevée sitôt après toute sanglante, elle fit porter sur le rempart sa bannière ; autour de laquelle l’imagination frappée de l’ennemi voyait, au dire d’un chroniqueur contemporain, voltiger des légions d’anges, et « ci-après, nous dirent et affermèrent les plus braves capitaines des François, qu’ils montèrent contremont le boulevart aussi aisément comme par un degré, et ne sçavoient considérer comment se pouvoit faire ainsi sinon par œuvre divin. »
Voyant leurs troupes frappées d’épouvante, ne parvenant plus, malgré une grande supériorité numérique, à les mettre en ligne contre ces bourgeois si longtemps méprisés, les chefs de l’armée
- ↑ Voir sur ce fait, au Procès de réhabilitation, les dépositions concordantes de Dunois, de Jean d’Aulon, de Louis de Contes, d’Aignan Viole et de frère Jean Pasquerel, témoins oculaires.
- ↑ Cette prédiction, rappelée par Jeanne elle-même dans son procès, t. Ier, p. 79, est relatée dans huit ou dix dépositions de l’enquête de 1456. M. Quicherat fait d’ailleurs observer qu’un document irréfragable qu’il publie ôte sur ce point tout prétexte de doute, toute possibilité de contestation. Il s’agit de la déclaration du sire de Rotselaër, consignée dans un registre de la cour des comptes de Brabant par le greffier de cette compagnie, comme étant extraite d’une lettre datée de Lyon le 22 avril 1429, lettre écrite dès-lors quinze jours avant l’événement survenu le 7, et dans laquelle la prochaine blessure de la pucelle est annoncée sur sa propre déclaration. (Collection des Procès, t. IV, p. 425.)