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réveiller, et la soirée finie, Thérèse l’embrassait tendrement sur les deux joues ; Mme  de Lubner ouvrait les yeux, et la jeune fille l’aidant à se lever : — Allons, ma bonne tante, lui disait-elle avec un gai sourire, il est temps de dormir, je crois ; voilà plus d’un grand quart d’heure que Rodolphe est parti.

Un matin, et tandis qu’il déjeunait, Gérard vit entrer son homme d’affaires comme un coup de vent.

— Victoire ! cria l’Allemand en faisant sauter son chapeau, nous avons rondement mené l’affaire (notez que le bonhomme y travaillait sans relâche depuis trois mois) ; je crois bien qu’au bout de la semaine on donnera les dernières signatures.

— Ah ! vous croyez ! répondit Gérard attéré.

La nouvelle l’affligeait bien plus qu’elle ne le réjouissait. La succession liquidée, quel prétexte avait-il pour rester à D… ? Il fallait donc partir, et à vrai dire il ne s’en souciait que médiocrement. Il pria son homme d’affaires de veiller à ce que tout fût bien en règle, et à ne rien laisser en arrière, afin, disait-il, de ne pas être obligé de revenir à D… — Ainsi, ajouta-t-il en finissant, si quelques jours vous semblent encore nécessaires, ne vous gênez pas pour les prendre, j’attendrai.

Le soir venu, il s’achemina tout triste du côté du petit jardin.

À peine en eut-il franchi la porte, que Thérèse lui prit les mains.

— Vous allez partir ! s’écria-t-elle.

— Qui vous l’a dit ? répondit Gérard vivement.

— Personne, mais je le sais.

Elle porta les mains à sa tête comme elle avait coutume de le faire quand elle souffrait.

— Une voix me l’a dit en rêve cette nuit, reprit-elle. Et puis je le pressentais du premier jour où je vous ai revu. Est-ce qu’on ne part pas toujours ?

Elle parut s’attacher à ce souvenir flottant plus fortement qu’elle ne l’avait jamais fait.

— Oui, poursuivit-elle comme si elle se fût parlé à elle-même, le premier Rodolphe d’abord, puis lui le second, ils s’en vont tous, et moi je reste ! Que c’est triste, tous ces départs ! Ils font la nuit autour de moi.

Quelques larmes tombèrent de ses yeux et coulèrent le long de ses joues sans qu’elle y prît garde. Elle regardait dans l’espace. Le vent, qui se lève quelquefois avec la nuit, souffla doucement dans les arbres. Elle releva la tête et sourit tristement.

— Le vent pleure aussi, dit-elle.

Elle quitta Gérard et fit quelques tours d’allée dans le jardin, seule, à pas précipités. L’expression de son visage était navrante.