Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occidental des Carpathes, d’où elles se liaient aux plaines de la Moldavie et de la Valachie. Cette ligne était semée de mansions, de bourgs, de villes, même de municipes, telles que Tibisque, dont les droits n’étaient guère moins enviés que ceux des colonies. On y rencontrait des salines, des mines d’or, des eaux minérales, par exemple Méhadia, qui existe encore presque sous le même nom. Une vaste voie romaine, dont les débris se montrent à divers intervalles, unissait tous ces points. Il y avait de Zerna à Sarmizegethusa cent dix-huit milles romains, de Sarmizegethusa à Apulum cinquante, d’Apulum à Patavissa trente-six, de Patavissa à Napoca vingt-quatre, de Napoca à Parolissum quarante-six, en tout deux cent soixante-quatorze milles romains, ou environ quatre-vingt-dix lieues à l’abri des crêtes les plus âpres des montagnes. C’était comme un camp retranché dont un des côtés avait la longueur des Carpathes orientales. Là était la force de la colonie, au besoin son lieu de refuge, d’où elle rayonnait dans les campagnes de Moldavie et de Valachie, que parcourait une autre route. Celle-ci, débouchant directement du pont de pierre, entrait dans la Petite-Valachie, conduisait au pont de l’Aluta, et, après avoir parcouru trois cent trente milles romains, venait rejoindre le centre de la colonie dans la Transylvanie, à Apulum ; elle était aussi bordée de villages et de villes, parmi lesquelles je me contenterai de citer Caracal, Romula, Acidava, Castra Trajana. Toutefois ces établissemens étaient beaucoup moins importans que ceux des montagnes où les Romains avaient placé leurs plus solides fondemens. Maîtres des montagnes, ils l’étaient des plaines[1].

Si quelqu’un était tenté de rejeter ces détails comme superflus, ou du moins comme peu dignes des recherches qu’ils entraînent, je le prierais de considérer qu’il ne peut être inutile à des hommes de savoir au juste où habitaient leurs pères, et que d’ailleurs l’art unique déployé ici par les Romains mérite d’être remarqué, puisqu’il peut et doit encore servir de modèle à quiconque se proposera de fonder, à l’abri du temps, un système de colonies chez des peuples ennemis ou seulement domptés à moitié. Ces établissemens agricoles et guerriers dans les massifs des Carpathes, lorsque les Romains pouvaient, avec cent fois moins de travaux et de dépenses, commencer par se répandre dans les plaines, prouvent qu’il ne faut pas se laisser séduire trop vite par la facilité des lieux, mais bien plutôt ne pas reculer devant les positions réputées inaccessibles, et qu’il faut établir le gros de la population nouvelle dans les lieux,

  1. Ils dominaient sur un territoire que l’on peut évaluer ainsi : cinq cents milles jusqu’au Dniester, où finissait la province ; quatre cents milles depuis l’embouchure de l’Aluta jusqu’à la partie supérieure du Pruth, ce qui donne une circonférence de treize cents milles, ou environ quatre cent trente lieues. C’était la première ébauche d’un état roumain.