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il ne coûtait aux Hollandais qui faisaient le commerce que 8 ou 10 sous. « C’est ainsi, dit le jésuite missionnaire, que nos braves François laissent enrichir les étrangers dans le négoce des Indes orientales, d’où ils pourraient tirer toutes les plus belles richesses du monde, s’ils avaient le courage de l’entreprendre aussi bien que leurs voisins, qui ont moins de moyens d’y réussir qu’eux. » Cette réflexion n’a pas cessé d’être vraie, et j’aime à la retrouver dans le récit de ce missionnaire, qui, parti à la conquête des âmes, ne dédaigne pas de signaler sur sa route les élémens de commerce et d’échange avec autant de soin que pourrait le faire un consul. Le thé est d’ailleurs pour le père de Rhodes l’objet d’une prédilection particulière ; il lui consacre tout un chapitre, et il décrit avec une sorte d’enthousiasme les vertus de ce précieux remède, auquel il doit, entre autres bienfaits, d’avoir pu ajourner le sommeil lorsqu’il était obligé de passer la nuit à confesser ses bons chrétiens. Le thé alors, ainsi que l’opium, n’était qu’un remède, et c’est seulement à ce titre que le père de Rhodes en recommande l’usage.

Le missionnaire demeura près d’un an à Macao, dans le collège que la compagnie des jésuites y avait établi dès l’origine de l’occupation portugaise, et qui fournissait des apôtres et des martyrs à toutes les missions de l’Orient. Il rappelle l’origine de cette petite colonie, et le nom de l’un de ses fondateurs, Pierre Veillo, « qui mérita par sa charité que saint François-Xavier lui promît qu’il saurait le jour de sa mort. » Les Portugais payaient à l’empereur de la Chine un tribut annuel de 22,000 écus. Dans les premiers temps, il leur était interdit d’ériger des fortifications, mais ils surent profiter d’une attaque des Hollandais pour obtenir la permission de construire des forts, où ils placèrent deux cents pièces de canon. Macao fut longtemps le centre d’un grand commerce ; il entretenait de fréquentes relations avec le Japon et avec les îles Philippines. Protégées par le pavillon du Portugal, les missions catholiques y étaient florissantes : de nombreuses et vastes églises attestaient la ferveur des fidèles. Ces souvenirs ne sont pas effacés par les temps : les forts bâtis au xviie siècle dominent les hauteurs de Macao, les édifices catholiques sont debout, et le père de Rhodes reconnaîtrait encore la charmante petite ville où il s’était préparé à entreprendre la périlleuse mission du Japon.

C’était en effet pour évangéliser le Japon que le père de Rhodes avait fait ce long voyage ; mais les persécutions en décidèrent autrement. Les martyrs s’étaient tellement multipliés au Japon, qu’il n’y restait pour ainsi dire plus de chrétiens. Les supérieurs des missions jugèrent que la Providence leur commandait de céder devant l’orage, et qu’il convenait de laisser quelque temps en friche cette terre ingrate où les confesseurs de la foi catholique ne trouvaient plus que