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faute du barrage ou de la retenue, un pont-canal : — telles sont les deux propositions.

Entre ces deux propositions, nous n’avons à discuter que celle du pont-canal, qu’il est impossible d’écarter. En effet, d’après les assertions des ingénieurs successivement chargés du barrage, la retenue, à son maximum, ne sera jamais supérieure de plus de 4 mètres à 4m 50 aux basses eaux du Nil, et comme le radier est à 10 mètres environ au-dessus des basses mers, le chenal n’aurait pas le tirant d’eau de 8 mètres. Selon l’auteur du projet, le niveau de la retenue pourrait être relevé ; mais, s’il n’en avait pas désespéré, il n’aurait pas proposé le pont-canal avec autant de résolution ; ce n’est pas une alternative qu’il soit le maître de choisir ou de rejeter, c’est une nécessité, et il l’accepte comme s’il l’eût choisie.

Le pont-canal aura 1, 000 mètres de long. C’est la longueur qui est adoptée pour le barrage, et nous ne la contestons pas, quoique faible assurément en raison du débouché que le pont présentera aux eaux du fleuve. La largeur ne peut être moindre de 25 mètres. La charge à supporter sera une profondeur de 8 mètres d’eau. Le plan d’eau sera à 12 mètres au-dessus des hautes eaux du Nil, c’est-à-dire à 31 mètres au-dessus des basses mers. C’est par cette cime que passera la navigation du monde. Un pareil édifice exige une solidité massive qui défie les siècles. La construction des écluses attenantes au pont et des biefs subséquens veut une égale solidité. Nous ne refusons pas de croire que l’art dominera les difficultés et les risques d’une œuvre qui laisse moins l’impression du colossal que du gigantesque ; nous n’avons à nous préoccuper que des conséquences du tracé. Ces conséquences doivent être d’un prix inestimable pour racheter la première.

Et d’abord on ne saurait imaginer une nappe d’eau de 100 mètres de largeur et de 8 mètres de profondeur, partant de la cote 31 mètres auprès du Caire pour arriver à zéro à Alexandrie et à Suez, sans se représenter le Delta enveloppé d’une muraille surmontée d’un fleuve et sans en entrevoir les tristes effets. Dans la branche d’Alexandrie, les raccordemens avec les canaux existans seront laborieux. Il y aura à toutes les communications des empêchemens à vaincre. Passer sous le canal ne sera possible que dans les biefs supérieurs, passer dessus ne sera possible qu’avec des ponts tournans d’une grande portée, qui seront autant d’entraves à la navigation. Et les relations seront incommodes, malgré le voisinage, entre le canal et le Caire, dont les expéditions ne pourront être embarquées qu’après élévation préalable. Ce serait le moindre mal ; voici le pire. Le Caire est le point de passage obligé et la station centrale de cette navigation fluviale qui descend et remonte entre la Haute-Égypte, l’Égypte