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analogues. D’ailleurs elles ne sont même pas représentées dans les conférences, et il est impossible de les y admettre malgré le regret que l’on en peut éprouver. Les princes allemands, partagés entre leur attachement pour la Russie et le respect qu’ils devaient à l’opinion de leurs peuples ou à celle de l’Europe, ont retenu l’Allemagne dans une attitude, dite de neutralité, où elle est menacée de perdre le rang qui devrait appartenir parmi les nations à un aussi grand pays. Les innombrables notes dont ils ont enrichi leurs chancelleries n’y feront rien; ne sont-elles pas comme si elles n’existaient point? La question ne va-t-elle pas se régler sans eux, et sans qu’il reste à leur amour-propre aucune autre échappatoire que de se réfugier dans ce qu’ils appellent le sentiment de leur dignité? Autrefois ils berçaient leurs peuples de l’espérance qu’un jour arriverait où ils mettraient leurs épées dans la balance, et interviendraient, comme le Deus ex machinâ, pour la plus grande gloire de l’Allemagne. Ce jour n’est jamais venu, et on sait bien pourquoi : c’est parce que la Russie, qui possède toutes leurs sympathies, ayant été vaincue sur le champ de bataille aussi bien que sur le terrain du droit, ils n’ont pas osé prendre le parti du plus faible, comme ils n’avaient pas voulu prendre celui de la justice. Et cependant quel service ils auraient pu rendre au monde, si leur attachement pour la Russie eût été aussi éclairé qu’il l’a été peu, s’ils avaient conservé vis-à-vis d’elle une indépendance assez grande pour lui faire entendre un langage à la fois énergique et sage, lorsqu’en 1853 les affaires ont commencé à prendre une tournure menaçante! Alors l’empereur Nicolas, parvenu à l’apogée de sa grandeur, aurait pu dire qu’il se rendait aux vœux de l’Europe, et il aurait trouvé quelque créance dans sa magnanimité. On ne saurait en douter, les princes allemands ont à cette époque fait entendre quelques observations, mais leurs remontrances n’ont malheureusement pas eu assez de crédit pour empêcher l’empereur Nicolas de passer outre à l’exécution de ses ambitieux projets, et nous avons été plongés dans la guerre cruelle qu’avec un peu plus d’énergie et d’indépendance on nous aurait peut-être épargnée. Plus tard est venue la phase des intérêts allemands et de la neutralité prétendue, où l’on gênait le moins qu’il était possible le commerce de notre ennemi, où les pains de salpêtre, habillés du papier jaune ou bleu et de la ficelle consacrés par l’usage, s’expédiaient malignement en douane sous la désignation de pains de sucre à l’adresse de la Russie. Aujourd’hui les princes allemands nous disent qu’ils attendent qu’on vienne les chercher pour nous aider au règlement d’une question qui a fait éclater leur impuissance de la manière la plus manifeste, et où ils nous ont dit pendant si longtemps que les intérêts allemands n’avaient rien à voir. Pourquoi nous rendrions-nous à leurs désirs, nous contre qui