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naissance de Mozart, qu’on a laissé mourir de faim, et dont on ne sait encore en quel lieu reposent les cendres ! À la fête qu’on a donnée à Vienne en présence de l’empereur et des grands dignitaires de la cour, M. Le Lourguemestre de Seiller a eu la singulière idée de détacher la couronne qui ornait le buste de l’auteur de Don Juan pour l’offrir à M. Liszt, qui était allé à Vienne, comme il va partout, pour se faire voir et présider aux pompes funèbres des grands musiciens. L’ombre de Mozart a dû tressaillir à cet épisode comique et aurait pu s’écrier : «Cruel, tu dis que tu m’aimes... et tu offres ma couronne à M. Liszt, qui s’est fait le défenseur des opéras de la Wagner et du jargon symphonique de M. Berlioz, pour se donner des airs d’un précurseur! » Ce qui n’est pas moins étrange, c’est que le manuscrit de la partition de Don Juan, qui était à vendre il n’y a pas longtemps, et que les héritiers de l’éditeur André, de Francfort, ont fait offrir inutilement à toutes les bibliothèques publiques de l’Allemagne, n’a pu trouver un acquéreur qu’à Londres, dans la personne de Mme Viardot, artiste bien digne de posséder un pareil trésor. Il n’est pas inutile d’ajouter, pour compléter le tableau, que la commission chargée d’organiser à Vienne la fête en l’honneur de Mozart a fait demander à Mme Viardot de lui prêter la précieuse relique, afin de pouvoir l’offrir à l’admiration des fidèles! Et cette relique n’a coûté que cinq mille francs à la fille de Garcia, le seul chanteur qui ait été à la hauteur de l’idéal de don Juan. N’est-ce pas le cas de s’écrier avec don Juan lui-même : Bizarra é in ver scena[1].

Le Théâtre-Italien nous a donné cette année un oj)éra de son cru, l’Assedio di Firenze, qu’on pourrait appeler un opéra d’outre-mer, car paroles et musique nous viennent en droite ligne de l’Amérique. Le sujet de la pièce est emprunté à un roman italien de M. Guerrazzi dont il a été question dans la Revue, et la scène se passe à Florence en 1529. L’empereur Charles-Quint et le pape Clément VII assiègent la ville de Dante, de Machiavel et de Michel-Ange, pour rétablir la maison de Médicis sur un trône qu’elle s’était édifié avec les débris de la république de Florence. Un épisode d’amour entre Maria de Ricci, femme d’un Benintendi, et un certain Lodovico Martelli, forme le nœud de ce mélodrame, où l’on est assez étonné de voir Michel-Ange jouer le rôle d’un papa tacci. En général, les faiseurs de libretti ont bien tort de touchera ces grandes figures burinées par l’histoire, et de faire chanter des cavatines, par exemple, à l’auteur du Moïse et du Jugement dernier. Qu’on n’oublie pas que le caprice lui-même ne peut se soustraire entièrement à la loi de la vraisemblance, et qu’il n’est pas indifférent de faire parler des hommes comme Buonarotti et Machiavel dans un drame, ou de les faire danser dans un ballet. La musique de l’Assedio di Firenze est de M. Bottesini, chef d’orchestre du Théàtre-Italien et l’un des plus admirables virtuoses qu’on ait entendus sur le plus gros, le plus grand, le

  1. Il vient de paraitre à Leipzig une nouvelle biographie de Mozart par le professeur Otto Jahn. Cette biographie, en un beau et gros volume de 716 pages grand in-18, contient deux portraits de Mozart, et renferme une analyse très détaillée des premières œuvres du grand maître. L’esprit de ce livre est excellent, et le style non moins sain que l’esprit.