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idées fugitives et dispersées, il a en quelque sorte réformé le corps de bataille de la philosophie. Du moins parut-il si peu ébranlé des assauts du scepticisme, qu’il rétablit autour de lui la confiance et avec la confiance la victoire, car dans ce combat, comme en d’autres guerres, il suffit peut-être de ne se pas croire vaincu pour ne pas l’être. L’ouvrage de Reid produisit une forte sensation dans le monde universitaire. Il raffermit les esprits et détermina ce qu’on peut appeler une réaction contre les principes de Hume ; mais cet effet de pure circonstance ne fut pas unique : Reid devint le maître de philosophie de l’Écosse. Une grande école fut fondée.

Daniel Ferguson, qui occupait alors à Édimbourg la chaire de philosophie morale, et qui est surtout connu par ses recherches sur l’histoire romaine et sur les origines de la société civile, n’hésita pas à déclarer que la vraie voie de la philosophie était celle que Reid venait d’ouvrir. On remarquera qu’Édimbourg ne tenait pas encore à cette époque le sceptre de la science. Son université, quoique dès-lors l’enseignement y fût riche et varié, n’avait point sur les autres universités de supériorité reconnue. Celles du moins d’Aberdeen et de Glasgow rivalisaient avec elle. Ce qui avait manqué longtemps à toutes, c’était le goût ou plutôt le sentiment et l’étude de l’art d’écrire. On attribue à Hume d’avoir, par son premier ouvrage de philosophie, exercé à cet égard une heureuse influence sur ses compatriotes. Avant de professer à Glasgow, Smith avait donné à Édimbourg quelques leçons sur les principes de la composition littéraire, et c’est encouragé par son exemple et par les conseils de lord Kames et de Hume que le docteur Hugues Blair, ministre de la paroisse de Canongate, ouvrit un semblable enseignement. Son succès fut tel, qu’une chaire de belles-lettres fut fondée pour lui à l’université (1761). On doit à cette institution un Cours de Littérature qui a été traduit dans toutes les langues. Par ses leçons et par ses sermons, Blair produisit un heureux changement dans la prédication et dans la composition. C’est un critique éclairé et délicat, s’il n’est original et profond, et il a certainement contribué à la formation de la littérature écossaise, quoique Hume, Reid et Robertson eussent écrit sans l’avoir attendu. À l’époque où il commença, Alexandre Gérard, professeur de philosophie au collège Marischal d’Aberdeen, venait de publier un Essai sur le Goût, et comme il passa à la chaire de théologie, celle de philosophie fut donnée avec plus de bienveillance peut-être que de réflexion à un poète. James Beattie n’était presque qu’un paysan. Il faisait des vers dans une école de village, et ses talens naturels avaient devancé son éducation. Devenu capable de traduire en vers les églogues de Virgile, ses propres poésies le firent avantageusement connaître. Ce n’étaient pas là les meilleurs titres pour être chargé d’un cours de morale et de logique. Aidé cependant des