rien n’est mystère. Arrivé au pied du Splügen, vous embrassez d’un coup d’œil l’énorme masse depuis la base jusqu’à la cime, et vous n’avez d’autres surprises pendant l’ascension que de voir grandir les objets qui vous paraissaient petits, puis se rapetisser ceux qui vous paraissaient grands. Les montagnes de l’Asie au contraire sont pleines de défilés, de retraites inaccessibles, où se cachent leurs plus rares magnificences. Pour découvrir ces sites merveilleux, il faut vivre dans le pays, s’établir pendant la chaude saison avec ses tentes et ses serviteurs sur l’une de ces montagnes, puis la parcourir lentement, multiplier les excursions et chercher bravement les féeriques paysages qui se cachent souvent derrière les rochers les plus arides. La montagne de Bagendur, où le prince Méhémed avait mené son escorte, offre au voyageur beaucoup de ces contrastes. Je me souviens d’y avoir passé une nuit à la belle étoile et en pleine solitude. Mes tentes n’étaient pas encore arrivées. Dès que le jour parut, j’eus sous les yeux un splendide paysage ; de vieux et gigantesques sapins couronnaient le plateau où je m’étais arrêtée : à mes pieds s’étalaient d’un côté une forêt de sapins plus jeunes, de l’autre d’immenses et frais pâturages. Je passai toute la journée sur la montagne, écoutant les récits de mes guides sur les trésors cachés qu’elle recelait et sur les innombrables cavernes creusées dans ses flancs, abri des hordes nomades qui n’en sortaient que pour ravager et piller les districts environnans. Aucun Turc ne s’aventurait au milieu de ces forêts. Les vallées voisines étaient désertes comme la montagne elle-même pendant une grande partie de l’année. On n’y rencontrait que des Kurdes à demi sédentaires, vivant l’été dans des hameaux qu’ils abandonnaient l’hiver, pour conduire leurs troupeaux vers des régions moins froides. Un de ces hameaux que je visitai pendant une de mes excursions (et à une époque où ses habitans l’avaient quitté) me rappela les plus coquets villages de la Suisse. Les maisons avaient un aspect d’ordre et de propreté qui réjouissait la vue. Une fontaine laissait couler doucement dans une auge en pierre ses eaux, qui allaient un peu plus loin grossir un petit lac, à l’entrée du village. Toutes les portes des maisons étaient ouvertes, toutes les étables étaient vides ; autour de moi régnait un silence de mort. — Que sont devenus les habitans de ce village ? demandai-je à mon guide. — Ils sont encore dans leurs pâturages d’hiver, me répondit-il ; ils ne tarderont pas à revenir. — Quelques jours plus tard en effet, en repassant par les mêmes lieux, je trouvai la physionomie du village complètement changée. Maisons et étables avaient reçu leurs maîtres ; les troupeaux remplissaient les enclos pendant la nuit, et la fontaine était entourée de jeunes filles au visage découvert qui lavaient leur linge ou abreuvaient leur bétail. Dans les vallées voi-
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