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fois politique et religieuse, comme ce fut le cas des colonies américaines, formées par l’alliance du calvinisme avec l’élément communal et républicain de l’Angleterre, les deux causes s’unissent et s’entrelacent avec force par leur besoin mutuel et leur danger commun. L’état alors se formule volontiers, au milieu de ses premières épreuves, comme l’expression terrestre de l’église invisible. Plus tard, les orateurs, les prédicateurs et les panégyristes, parlant à la foule aux jours de fêtes et aux anniversaires nationaux, donnent, par un pur besoin oratoire, aux hommes du vieux temps des proportions surhumaines, et à leurs institutions les plus nécessaires et les plus naturelles des raisons idéales. De la un mélange de mythologie et de métaphysique où la politique et la religion se fondent en un brillant mensonge dans lequel le peuple se contemple ; de là, par une conséquence naturelle, l’idée d’une constitution théorique qui aurait été coulée d’un seul jet, et qu’on s’accoutume à expliquer par des principes abstraits, d’abord religieux, ensuite philosophiques, selon les temps et les hommes. Or telle a été longtemps en Amérique l’histoire des origines nationales, et ce n’est qu’en ces derniers temps que des recherches sérieuses ont dissipé cette poésie populaire. « Les pères et les fondateurs de notre république américaine, dit un autre historien récent, Hildreth, ont été revêtus, dans la pensée populaire, d’un caractère mystique et héroïque qui les met au-dessus, au-delà et souvent tout à fait en dehors de la vérité de l’histoire. La littérature américaine ayant été principalement du genre oratoire, et la révolution, aussi bien que les vieux temps de nos ancêtres, étant le sujet convenu d’éloges périodiques dans lesquels chaque orateur s’efforce de surpasser ceux qui ont parlé avant lui, l’histoire véritable de ces temps, en dépit des nombreux documens contemporains, tels qu’aucune nation n’en saurait montrer sur ses origines, a été pour ainsi dire effacée par des déclamations qui confondent toute appréciation distincte et impartiale dans une vague lueur de glorification patriotique[1]. » Il y aurait là certes, pour un Américain philosophe, une étude à faire, curieuse et instructive pour l’histoire même des autres nations : ce serait l’exposé comparatif de ces deux histoires d’un peuple naissant, — l’une populaire, recueillie dans les sermons et les panégyriques, et concluant à des théories politiques ou religieuses, — l’autre réelle, et fondée sur des documens certains. L’Amérique seule peut fournir ce précieux sujet à une étude complète, parce que seule elle a eu son berceau sous l’œil de l’histoire, qui écrivait en même temps les vérités et les fictions. Ces théories politiques s’étaient déjà d’ailleurs produites en Europe

  1. Hildreth, History…, vol. Ier, seconde série.