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nant le gênait plus qu’un abord froid. Il s’inclina et ne put que répondre quelques mots en balbutiant. Lorsqu’il fut auprès de Mme  de Fougerolles, Mlle  du Rosier l’examina avec ce coup d’œil implacable d’une femme qui n’aime plus. Elle éprouva alors ce sentiment de surprise qui indigne le cœur aussitôt que l’exaltation a cessé de le remplir. — C’était donc lui ! pensa-t-elle.

Un observateur qui aurait pu lire dans ses yeux eût été bien étonné de voir, un moment après, avec quel sourire gracieux Alexandrine attendit le retour de M. de Mauvezin et le provoqua en quelque sorte. Le bon goût ne suffisait pas à expliquer cet empressement. Était-ce la fierté d’une âme qui se sent au-dessus des vulgaires atteintes, ou la coquetterie d’une femme qui cherche à reconquérir son empire ? La fierté était en elle, on le sait, mais la coquetterie ne s’y montrait pas. Elle avait gardé sa robe de mérinos noir, son col plat et ses manchettes de toile blanche. Comme M. de Mauvezin, à court de paroles, lui demandait si elle prenait sa part des plaisirs de Paris, elle leva doucement les épaules : — Moi, une vieille fille ! dit-elle.

Mais cette vieille fille avait quelque chose en elle qui forçait tous les yeux à la suivre quand elle traversait un salon. Sa robe de laine écrasait les robes de velours. Mme  de Fougerolles la pria de se mettre au piano. Quand elle eut joué, quelques personnes s’approchèrent pour la complimenter ; M. de Mauvezin lui déclara que beaucoup d’artistes fameux n’avaient pas plus de talent.

— Vous avez dû beaucoup travailler depuis Moulins ? dit-il.

— Elle ne fait que cela, dit la baronne ; le piano l’amuse.

— Sans doute. Et puis ne faut-il pas que je me crée des ressources pour l’avenir ? Je m’apprête à courir le cachet.

Un grand silence se fit dans le cercle des admirateurs. Bien sûre que M. de Mauvezin ne lui supposait plus des prétentions impossibles sur son cœur, elle exécuta une variation brillante et se leva.

Le mot de Mlle  du Rosier était comme une arme à deux tranchans. En même temps qu’elle dissipait les inquiétudes que M. de Mauvezin aurait pu concevoir, elle dépouillait Mme  de Fougerolles du prestige de générosité maternelle dont on l’avait entourée, et qu’elle avait complaisamment accepté. Au lieu d’une parente assurée d’un avenir brillant et déjà mise en possession de tous les biens que donne la fortune, il n’y avait plus qu’une orpheline recueillie par charité et destinée à gagner son pain à la sueur de son front. Le piédestal était brisé.

Pendant toute la soirée, à laquelle un grand nombre de personnes avaient été priées, il ne fut question que de Mlle  du Rosier et de sa position précaire. Quelques visages laissèrent voir la surprise et l’attendrissement. Sa réponse fut répétée de bouche en