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pleine de dévouement et d’ardeur, se trouvait cantonnée sur la rive gauche de l’Alazan, rivière qui se jette dans le Kour. Non loin des cantonnemens de la milice, le prince habitait, sur la rive droite, sa terre de Tsinondale, magnifique propriété qu’il tenait de ses ancêtres. Il avait été précédé de quelques semaines dans ce délicieux séjour par sa jeune femme et ses enfans, qui avaient quitté Tiflis pour passer à Tsinondale la belle saison. Autour du prince et de sa femme, d’autres membres de la famille étaient bientôt venus se grouper, parmi lesquels on distinguait la princesse Varvara Orbéliani, sœur de la princesse Tchavtchavadzé[1]. Cette jeune femme, qui venait de perdre son mari, tué dans le Caucase, et l’un de ses fils, s’était rendue à Tsinondale, afin de se distraire du chagrin dans lequel ces pertes l’avaient plongée.

Les premiers jours que le prince David passa au milieu de sa famille dans sa résidence de Karélie furent paisibles. Le 30 juin cependant, il reçut une dépêche dans laquelle l’officier commandant l’aile gauche, le colonel Coulmann, lui annonçait qu’à en croire les émissaires russes, Chamyl venait d’arriver, avec un parti de quinze mille cavaliers[2], à Karati, village situé dans les montagnes, et qu’en conséquence il paraissait urgent de concentrer la milice dans le bourg de Khando, situé sur la rive gauche de l’Alazan, à deux kilomètres du village de Childa, dans les environs duquel les miliciens étaient disséminés. Comme presque tous les villages de la Géorgie, Childa se composait d’habitations entourées de jardins, et n’était protégé que par une forteresse en ruines. Le prince confia immédiatement à un de ses parens, le chef d’état-major en retraite Roman Tchavtchavadzé, le soin de communiquer l’ordre du colonel Coulmann aux miliciens. Le lendemain, il se rendit lui-même à Khando. Avant de s’éloigner, il ne lui vint pas à l’esprit que sa famille pût courir le moindre danger à Tsinondale. Depuis l’année 1800, époque à laquelle ils avaient été vigoureusement repoussés par les Russes, les montagnards n’avaient point franchi l’Alazan. Lorsque des nuages de fumée annonçaient aux habitans de Tsinondale que les Lesghes se livraient à quelque déprédation sur le bord opposé de la rivière, personne ne s’en alarmait au château. Plusieurs bataillons d’infanterie régulière étaient d’ailleurs cantonnés dans les environs. Enfin Télave,

  1. La princesse Anne Tchavtchavadzé et sa sœur la princesse Varvara Orbéliani sont les petites-filles de George XIII, dernier souveiain de la Géorgie. En considération de cette origine, elles avaient été nommées demoiselles d’honneur de l’impératrice. Comme presque toutes les Géorgiennes, les deux jeunes princesses sont d’une beauté remarquable.
  2. On sait que les forces dont dispose Chamyl se divisent en deux groupes de montagnards, les uns tchetchens, les autres lesghes, ceux-là occupant le centre, ceux-ci le versant oriental du Caucase.