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accroupie plutôt qu’assise, se tenait une pâle enfant aux yeux noirs, vrai type de légende fantastique. Elle lisait tout haut pour sa mère, et sa voix argentine murmurait, au moment où nous entrâmes, les paroles du livre saint : « Que votre cœur ne soit point troublé. Vous avez cru en Dieu, croyez aussi en moi. » Marian, quand elle nous vit, poussa un cri de joie et se dressa sur son séant, les bras étendus vers nous. La petite lectrice s’arrêta, le doigt posé sur la page ouverte, et nous jeta un regard timide.

— Dieu soit loué ! vous arrivez à temps, nous dit Marian à voix basse. La tante Thomasine, après le premier baiser, fut obligée de sortir pour cacher ses larmes. De notre petit Rayon de Soleil, il restait à peine une faible clarté, vacillant à l’horizon déjà ténébreux.

Le soir vint : je restai seule avec Marian dans sa chambre, où il faisait déjà presque nuit. Harley et M. Langley, — redevenu le savant froid et grave que j’avais connu autrefois, — se promenaient sur une des hautes terrasses qui dominent le lac. La tante Thomasine s’était retirée. Ruth dormait paisiblement sur sa petite couchette. Marian regardait les nuages courir sur le ciel bleu, et prêtait l’oreille aux sons d’une musique lointaine.

— Venez ici, me dit-elle… Plus près encore…, que je voie votre figure.

Et je n’osais, car depuis quelques minutes les larmes m’avaient gagnée malgré moi.

— Parlez-moi de ma mère…, de mon père, dit-elle encore.

C’était rouvrir d’anciennes blessures, et cependant je reviens sans hésiter sur les derniers momens de nos parens bien-aimés. Je redis les paroles affectueuses qu’ils ont trouvées, en ces instans suprêmes, pour leur fille absente. Tandis que je parle, Marian, attentive et calmée, oublie sa main dans ma main. Son mari entre, il la questionne, et, dans l’accent presque joyeux des réponses qu’elle lui adresse, je distingue un doux sourire que l’obscurité me cachait. — Bientôt, Harry…, bientôt je serai tout à fait bien, lui a-t-elle dit… Et M. Langley l’a comprise, car il étouffe un sanglot.

Je sors, mais on me rappelle quelques instans après. Marian me demande de lui continuer l’Évangile de saint Jean, que je reprends où Ruth l’a laissé. Après quelques-uns de ces chapitres inspirés, j’arrive à ce verset final : « Vous aurez de l’angoisse au monde, mais ayez bon courage, j’ai vaincu le monde[1]… » On long soupir de ma sœur m’appelle auprès d’elle. Elle entr’ouvre les yeux, sourit, les referme, et se rendort… pour ne plus se réveiller ici-bas.

  1. Évangile selon saint Jean, chap. XVI.