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pas moins vrai pour les arts littéraires. Mettre en vers une page de Bossuet, mettre en prose une page de Corneille, sont deux projets que le bon sens désavoue. On a voulu justifier la méthode que je réprouve en citant quelques notes trouvées dans les papiers de Racine, un projet d’Iphigénie en Tauride ; c’est un argument sans valeur. Ces notes n’ont pas plus d’importance qu’un mémento ; c’est tout au plus un canevas, et si l’auteur de Britannicus et d’Athalie s’en fût servi, il n’aurait pas versifié les lignes que nous connaissons. On a trouvé des notes du même genre dans les papiers d’André Chénier, et pourtant je ne croirai jamais que la Jeune Captive soit une page de prose mise en vers.

La foule, qui n’a pas étudié les secrets du métier, qui ne s’en est jamais préoccupée, est à cet égard, mais à son insu, du même avis que les lettrés. Lorsqu’elle entend de la prose versifiée, elle approuve ou désapprouve la pensée, elle discute. Quand elle entend des vers où Richelet n’a rien à voir, des vers enfantés sans efforts, où se trouve exprimée une idée qui n’a jamais eu d’autre forme, elle est séduite, elle est charmée, et ne songe pas à discuter. Elle ne sait pas pourquoi ; mais qu’on aille au fond de la question : la foule n’aime pas la prose versifiée.

Les applaudissemens obtenus chaque soir par M. Ponsard ne s’adressent pas à la beauté du langage, mais aux lieux communs qu’il a su habilement exploiter. Quand le poète traduit sa pensée en vers spontanés, un murmure confus d’étonnement et d’admiration atteste son triomphe. Rien de pareil aujourd’hui. La foule approuve, applaudit, heureuse de trouver dans l’œuvre nouvelle l’écho de son opinion. Elle se conduirait autrement, si des paroles mélodieuses arrivaient à ses oreilles, si de vives images venaient frapper son intelligence.

M. Ponsard avait à choisir entre la comédie de mœurs et la comédie de caractère. À parler franchement, je ne sais quel nom mérite son œuvre nouvelle. On dira peut-être que c’est une comédie de mœurs : je consentirais à le croire, si je voyais ses personnages engagés dans une action réelle ; mais qu’on y prenne garde, ses personnages parlent et n’agissent pas. Ce n’est pas là, quoi qu’on puisse dire, le tableau fidèle de ce qui se passe sous nos yeux. Serait-ce d’aventure une comédie de caractère ? Pour justifier un tel nom, il montrer que les acteurs sont présentés sous un aspect philosophique. Or je crois qu’il serait difficile d’apporter des preuves satisfaisantes à l’appui de cette assertion. Il y a sans doute dans la Bourse quelques scènes empruntées à la réalité ; il n’y en a pas une qui relève de la philosophie, qui atteste chez l’auteur la faculté d’analyser les sentimens. Ce n’est pas que je lui dénie cette faculté d’une manière absolue, car il en a fait usage dans Lucrèce et dans Charlotte