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plein de ressources dans les débats ; — autour d’eux, un groupe d’hommes jeunes encore et déjà très distingués, laborieux, éclairés, convaincus, dévoués : M. Gladstone, lord Lincoln, M. Sidney Herbert, sir William Follett ; — derrière cet état-major politique, une majorité nombreuse, formée par dix ans de lutte, contente et fière de son récent triomphe ; et à la tête de ce puissant parti et de ce grand cabinet, sir Robert Peel, chef incontesté, éprouvé, accepté de tous, entouré de la considération publique, investi de l’autorité du caractère, du talent, de l’expérience, de la victoire. Jamais peut-être premier ministre n’avait réuni dès son avènement autant d’élémens et de gages d’un gouvernement sûr et fort.

Mais il était appelé à la plus difficile des œuvres, à une œuvre essentiellement incohérente et contradictoire. Il fallait qu’il fût à la fois conservateur et réformateur, et qu’il fît marcher avec lui, dans cette double voie, une majorité incohérente elle-même, et dans laquelle dominaient, au fond, des intérêts, des préjugés, des passions immobiles et intraitables. L’unité manquait à sa politique et l’union à son armée. Sa situation et sa mission étaient également complexes et embarrassées ; c’était un bourgeois chargé de soumettre à de dures réformes une puissante et fière aristocratie, un libéral sensé et modéré, mais vraiment libéral, traînant à sa suite les vieux tories et les ultrà-protestans. Et ce bourgeois, devenu si grand, était un homme d’un naturel concentré et peu sympathique, de manières froides et gauches, habile à diriger et à dominer une assemblée, mais peu propre à agir sur les hommes par l’attrait de l’intimité, de la conversation, des communications expansives et libres, plus tacticien que missionnaire, plus puissant par les argumens que sur les âmes, plus redoutable pour ses adversaires qu’aimable pour ses partisans.

Mieux que lui-même peut-être, ses adversaires se rendaient compte, avec la sagacité de l’esprit de parti, des difficultés qui l’attendaient, et ils n’avaient garde de les lui aplanir. Ministres encore à l’ouverture du parlement, et appelés à rédiger, comme leur testament, le discours de la couronne, les whigs eurent grand soin d’y bien définir la double tâche qu’ils n’avaient pu accomplir eux-mêmes, mais qu’ils imposaient à leur successeur. Ils dirent aux chambres : « Les dépenses extraordinaires qu’ont entraînées les événemens du Canada, de la Chine et de la Méditerranée, et la nécessité de tenir sur pied des forces suffisantes pour protéger nos vastes possessions, nous obligent à chercher les moyens d’accroître le revenu public. Sa majesté désire ardemment que ce but soit atteint de la façon la moins onéreuse pour son peuple, et, après mûre délibération, il lui a paru que votre attention devait se porter sur la révision des droits qui frappent les produits étrangers. Vous aurez à examiner, d’une part, si quelques-uns de ces droits ne sont pas à la fois improductifs pour