Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cher, et Anifé tomba à la renverse sur ses oreillers, en proie à d’affreuses convulsions. Sa mère et un parent s’empressèrent autour d’elle, et la vieille Grecque profita de ce moment de confusion générale pour s’esquiver avec son fardeau. On ne s’occupa plus d’elle, et on ne s’aperçut de sa disparition qu’une heure après l’évanouissement d’Anifé. On envoya aussitôt chez la sage-femme, et on la trouva vaquant paisiblement à ses affaires, tandis que les restes du pauvre enfant étaient enfermés dans un petit coffre en sapin qui s’était trouvé, on ne sait comment, prêt pour la circonstance. Les serviteurs du kadi voulaient le remporter au logis en attendant que l’heure des funérailles fût venue ; mais la vieille s’y opposa, déclarant que la vie de la jeune mère serait compromise, si on lui remettait sous les yeux ce désolant spectacle. — Lorsque tout sera prêt pour l’enterrement, ajouta-t-elle, on viendra chercher le coffre, que je livrerai de grand cœur ; jusque-là il ne faut pas songer à le rapporter à la maison du kadi. — Les domestiques, qui ignoraient les soupçons de leur maîtresse, n’osèrent insister, et s’en retournèrent rendre compte à celle-ci du résultat de leur expédition. On craignait de nouvelles démonstrations de fureur de la part d’Anifé ; mais on eût dit que la jeune femme avait pris à tâche ce jour-là de ne rien faire de ce qu’on attendait d’elle, et au lieu d’éclater en reproches, elle écouta tranquillement le récit de ses gens, sans manifester d’autre désir que celui d’être laissée seule avec son père d’adoption, le kadi. On s’empressa d’aller quérir le juge, qui vint aussitôt, et chacun se retira dans une pièce voisine.

Restée seule avec son père adoptif, Anifé lui raconta avec détail tout ce qui s’était passé, et ajouta : — Mon père, j’ai la certitude que mon enfant est vivant, ou tout au moins que le cadavre exhibé par cette femme n’est pas celui de mon enfant. Celui-ci vit, ou bien on l’a tué, et c’est dans la crainte que nous ne puissions découvrir sur lui des traces de mort violente qu’on m’a présenté ce faux cadavre. Vous êtes juge, vous connaissez les lois et les moyens d’en assurer l’exécution ; veuillez suivre cette affaire, découvrir les coupables, les punir, sauver et me rendre mon enfant !

L’affaire était des plus graves, et le kadi fut d’abord tenté de mettre les soupçons d’Anifé sur le compte de ses regrets maternels. Quel intérêt avait cette vieille à faire disparaître le petit-fils d’un kadi ? Mais Anifé le pria de réfléchir à la haine que la première épouse d’Ismaïl nourrissait contre elle, à l’envie que devait lui causer la naissance d’un fils de sa rivale, tandis qu’elle n’avait jamais rendu père leur époux commun. Bref elle parla si tranquillement et si bien, elle appuya son hypothèse de tant et de si bonnes raisons, que le kadi finit par partager sa conviction et par prendre tout à fait à cœur la découverte de cette affreuse intrigue. Il promit de s’en