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par la nature des projets qu’il allait lui soumettre, les ordres privilégiés et le tiers-état. Au lieu de l’adhésion par acclamation qu’il attendait, il était immanquable qu’il recueillît des témoignages de mauvaise volonté et de défiance, à moins cependant que la royauté ne mît dans la balance avec une grande résolution l’immensité de sa prérogative encore incontestée ; mais pouvait-on attendre une détermination courageuse et ferme de ce malheureux roi ?

Le plan avec lequel Calonne se présenta aux notables comprenait un ensemble de mesures financières et touchait un peu à la politique en ce qu’il établissait, seulement pour la répartition de l’impôt il est vrai, des assemblées provinciales. La plupart des historiens ont traité ce plan avec une sévérité qui me semble injuste. Je ne contesterai pas qu’on n’y retrouve la trace de l’incohérence propre à l’esprit superficiel de Calonne. On peut alléguer que c’est un pêle-mêle de projets assez mal proportionnés les uns par rapport aux autres. Il n’est même pas parfaitement démontré que par les moyens proposés on fût parvenu à combler le déficit. En somme néanmoins, c’était un plan recommandable, en ce qu’il consacrait nombre d’améliorations désirables et désirées, et conformes à l’esprit du temps[1]. Malheureusement en présence des notables le roi fit ce qu’il eût été facile de présager. Il fut un prodige de faiblesse et d’incapacité ; il laissa les rênes flotter au gré de tous les hasards. Il autorisa les écarts des personnes qui lui tenaient de plus près, à commencer par les princes du sang, il toléra même les menées de quelques-uns de ses ministres contre les plans de son gouvernement. Dans maint entretien, il alla jusqu’à encourager la résistance des notables. À la fin, il perdit la tête, et peu de jours après avoir dit à haute voix qu’il voulait que tout le monde sût qu’il était content de son contrôleur-général, il le congédia, manifestant ici ce qu’il avait déjà montré et ce qu’il devait montrer jusqu’à la fin de sa carrière, — une déplorable facilité à abandonner les idées qu’il avait paru approuver et

  1. On y distinguait en effet une réduction au vingtième du revenu de la taille, impôt direct odieux au tiers-état, parce que seuls les roturiers y étaient assujettis ; une subvention territoriale assez forte à laquelle tout le monde eût été soumis sans exception, ce qui était un acheminement vers l’égale répartition de l’impôt ; le remplacement de la corvée par une prestation en argent ; un tarif uniforme pour les droits de douane aux frontières de terre et de mer, uniformité qu’à l’heure où j’écris nous ne possédons pas encore, puisque le tarif de 1836 reconnaît des zones ; l’abolition des barrières entre les provinces, la modération de tous les droits d’aides ou contributions indirectes, la réduction et la plus égale distribution des charges de la gabelle, la suppression des droits sur la fabrication des huiles et des savons à l’intérieur. La libre circulation des grains dans toute l’étendue du royaume faisait aussi partie de ce programme. Quelques autres dispositions tendaient, de même que plusieurs des précédentes, à rapprocher de l’uniformité le système des impôts dans les différentes provinces.