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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/249

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que voici : il y avait à Mayence un administrateur des douanes françaises qui lui devait quelque reconnaissance, et qui lui en avait donné des preuves pendant son emprisonnement à l’hôtel des fermes ; il lui demanda la commission d’un emploi modeste dans son administration, et ce fonctionnaire, se comportant en véritable ami, eut la discrétion de la lui expédier sans lui faire une seule question. M. Mollien partit pour Mayence vers la fin de l’année 1798. Il trouva bientôt un prétexte d’absence : il laissa croire que quelques affaires l’appelaient dans les provinces intérieures de l’Allemagne, passa le Rhin et exécuta son véritable dessein sans obstacle. Il parcourut la Hollande et l’Angleterre, le livre d’Adam Smith sous le bras. Ce fut, dit-il, mon seul compagnon de voyage. Avec cet interprète pour se rendre compte des faits qu’il observait, il sentit le cercle de ses idées s’élargir comme par enchantement.

La science des finances à la fin de l’ancien régime était une espèce d’arcane dont quelques empiriques prétendaient avoir seuls la possession. On s’estimait un financier alors qu’on avait la tête meublée de formules, et qu’on savait par cœur les chiffres du tarif des différentes impositions, et il faut convenir que c’était un mérite malaisé à acquérir que de se reconnaître dans cet amas indigeste de dispositions étranges, bizarres, contradictoires et variables de province à province. Toute idée élevée, et pour ainsi dire toute conception juste était bannie de cet obscur chaos qu’on osait appeler la science financière. On avait totalement perdu de vue les principes sur lesquels les impôts doivent être assis pour être supportables ; On ne s’inquiétait pas des relations nécessaires qui existent entre un bon système de contributions et la prospérité publique. On n’y tenait aucun compte de cette simple notion par exemple, qu’il est ruineux pour le fisc même que l’impôt soit exagéré au point d’empêcher la formation de la matière imposable, ou de la détruire quand elle est formée. L’abbé Terray, qui était l’auteur du dernier remaniement du système, avait, sans vergogne et sans jugement, outré la plupart des taxes de manière à les rendre accablantes et à provoquer les populations à s’y soustraire par la fraude, en attendant qu’elles le pussent par la force. Le despotisme, qui, sur le continent, s’était établi sur les débris de la féodalité, en avait conservé les pratiques brutales en matière d’impôt ; on se figurerait difficilement aujourd’hui la diversité des exactions auxquelles le contribuable du tiers-état, surtout le pauvre, était abandonné pieds et poings liés, sans que la loi lui ménageât un refuge quelconque pour se faire rendre justice. Il n’était plus permis, depuis l’abbé Terray, d’adresser sa plainte à l’intendant de la province ; il fallait envoyer sa supplique au conseil du roi, où l’on y répondait à la façon du cardinal