Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

SHAKSPEARE


SON GENIE ET SES OEUVRES




I

Washington Irving compare Shakspeare à un saint d’Italie : les adorateurs, à force d’apporter des cierges, l’ont si bien enfumé et noirci, qu’on ne le reconnaît plus. Les Anglais surtout, gens scrupuleux, ont fait sur lui des questions singulières. — Sa maison était-elle en bois ou en briques ? Combien y avait-il d’oreillers à ce lit, « le premier après le meilleur, » qu’il laissa par testament à sa femme ? L e pommier sous lequel il s’endormit, près de Bidford, pour cuver son vin, avait-il des pommes ? Quand il se logea près du jardin des ours, était-ce pour mieux voir les combats d’ours ? — Ces points éclaircis, on admire l’homme, et les louanges pleuvent : le plus grand des poètes, le peintre incomparable du cœur humain, le premier des comiques, le premier des tragiques, etc. On pourrait faire les litanies de Shakspeare ; il n’y a pas de saint qui eût une plus longue liste de beaux surnoms. Il est si populaire, qu’au lieu de le juger on l’admire ; le dithyrambe sert de critique, et dans cet empressement pour lui donner tous les talens, on oublie de marquer les traits distinctifs de son talent. ’

Et cependant il a son talent distinct. Ce ne sont point tous les genres de beautés et de vérités qu’il a produits, c’est un genre de beautés et de vérités distinctes. Ce ne sont point tous les styles qu’il apris, c’est un style unique. Ce ne sont pas toutes les espèces d’âmes