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morale des pauvres habitans du Ghetto. M. Adalbert Stifter a un sentiment très-vif de la nature; il l’aime avec une tendresse naïve, il la comprend dans ses harmonies les plus cachées. Ses tableaux du monde rustique, publiés modestement sous le titre d’études, doivent surtout leur intérêt à cette espèce de familiarité avec le monde extérieur; je ne connais pas de paysagiste plus vrai, plus attentif aux moindres détails, plus sympathique à la vie universelle. M. Kompert et M. Adalbert Stifter, en des sujets très-différens, appartiennent tous deux à ce groupe d’écrivains moralistes où brillent au premier rang M. Gustave Freytag et M. Berthold Auerbach.

Trouvons-nous les mêmes symptômes dans la poésie lyrique? Oui, au milieu de l’innombrable foule des chanteurs, les deux ou trois écrivains qui se sont acquis les sympathies de l’Allemagne, ce sont ceux dont le sentiment moral a inspiré les strophes. Quelle sagesse aimable et virile dans les chansons de Mirza-Schaffy ! Il y a déjà trois ans que M. Frédéric Bodenstedt a publié ce recueil; il vient d’en donner la quatrième édition, et, encouragé par le succès, il a enrichi son livre de pièces nouvelles qui en doublent la valeur. Je remarque, à l’honneur du pays et du poète, que ces derniers chants sont précisément consacrés à l’expression des pensées pratiques. Le premier recueil était surtout une guirlande de chansons amoureuses; le dernier, sans nuire à l’harmonie de l’ensemble, accorde une large place aux enseignemens de la sagesse. Le sage de Tiflis sous le nom duquel M. Bodenstedt a publié ses vers semble écrire pour les Allemands des consolations et des préceptes. Il enseigne surtout une vertu dont on ne nous parle guère, la fierté morale, cette fierté qui fait qu’on s’estime à sa valeur et qu’on ne s’abaisse pas devant le premier venu, parce que le hasard ou l’intrigue l’a décoré d’un titre. La forme humoristique préserve Mirza-Schaffy de toute déclamation. On dirait parfois un Béranger oriental; parfois aussi il est sentencieux à la façon des poètes persans, avec grâce et finesse. « Quand j’ai dit dans mes vers : Soyez de bonne humeur avec les braves gens, ne soyez pas servilement courbé devant les forts, ne soyez pas dur et hautain avec les faibles, — on a loué la sagesse de mes chants. Quand j’ai voulu agir d’après ces sages préceptes, on a dit que j’étais fou. » Ainsi parle l’honnête Mirza-Schaffy, et si vous croyez peut-être qu’il regrette sa franchise, tournez la page. « La sagesse populaire a dit : L’homme qui a la vérité dans le cœur doit avoir un cheval tout sellé; l’homme qui s’apprête à dire la vérité doit avoir le pied à l’étrier; l’homme qui vient de dire la vérité, au lieu de bras, doit avoir des ailes. Et moi, je dis : L’homme qui a peur de dire la vérité mérite la bastonnade. » Écoutez-le aussi, comme il raille le grand-vizir, lorsque le grand-vizir, avec sa robe brodée