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montagnes sont massives et précipiteuses, et l’on n’y trouve presque ni vallées, ni torrens. Du côté occidental, une multitude de petits ruisseaux descendent vers le Sacramento. Le climat des deux versans est aussi très différent : pendant tout le temps de l’ascension, il n’avait cessé de neiger à gros flocons; mais aussitôt que les voyageurs dépassèrent le sommet de la sierra, ils furent surpris d’apercevoir le soleil et un beau ciel d’un bleu foncé, pareil à celui de Smyrne ou de Palerme. A mesure qu’ils descendaient les pentes de la chaîne, le froid des hauteurs faisait place à une brise douce et chaude; des arbres magnifiques, pleins d’oiseaux, étalaient un feuillage toujours vert : on entrait dans l’éternel printemps du Sacramento.

Pour donner une idée des souffrances qu’avaient endurées Frémont et ses compagnons pendant le passage de la sierra, qui ne dura pas moins d’un mois, il suffira de dire que la faim, la fatigue, la crainte de mourir dans les montagnes avaient momentanément privé quelques hommes de leur raison. « C’était un rude temps, dit Frémont, que celui où des hommes robustes perdaient l’esprit par excès de souffrance, où les chevaux périssaient, où l’on tuait, pour les manger, les mulets sur le point d’expirer : pourtant il n’y eut jamais parmi mes compagnons de murmures ou d’hésitation. »

Nous ne suivrons point Frémont dans son voyage le long de la Californie, où sa troupe se dédommagea amplement des fatigues d’une si rude campagne. Des soixante-sept chevaux qu’il avait en quittant l’Orégon, trente-trois seulement étaient arrivés dans la vallée du Sacramento; mais c’est avec une immense caravane de cent trente chevaux et mulets que le lieutenant américain remonta la vallée de San-Joaquin pour aller chercher le Col de Walker, par où il se proposait de franchir la Sierra-Nevada pour revenir à l’est. La vallée de San-Joaquin, comme celle du Sacramento, est comprise entre la Sierra-Nevada et la chaîne basse qui porte le nom de Chaîne de la Côte. Il y a peu d’exemples d’une disposition aussi singulière que celle de ces deux fleuves californiens : ils coulent, sur toute leur étendue, dans une direction exactement parallèle à la côte de l’Océan-Pacifique, et arrivent à la mer en se jetant dans la baie de San-Francisco, qui échancre profondément les terres. Aucun fleuve ne descend vers l’Océan-Pacifique en traversant la Sierra-Nevada, et le fleuve Buenaventura, que Frémont avait cherché, n’est qu’une mince rivière qui descend de la Chaîne de la Côte. Ainsi, dans cette partie de l’Amérique, le seul fleuve qui établisse une communication entre l’intérieur du continent et la mer est la Colombie, dont une des branches descend des Montagnes-Rocheuses, et dont l’autre est en rapport avec les eaux de la baie d’Hudson.