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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/642

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d’argumentation qui puisse détruire cette vérité. Le négociant qui paie ses billets est honnête aux yeux de la loi; nul n’a le droit de contester sa probité. Le peintre qui expose un tableau ne peut échapper à la discussion. Par cela même qu’il prétend à l’admiration de ses contemporains, à l’admiration de la postérité, il doit accepter sans résistance, sans réclamation, sans colère, les jugemens les plus contradictoires. Je ne parle pas ici dans l’intérêt de la critique, je parle dans l’intérêt de ceux qui visent à la renommée, car il n’y a pas de renommée solide sans discussion. Les ouvrages qui réussissent d’emblée, sans soulever aucune objection, sans rien déranger dans les habitudes du public, obtiennent bien rarement une longue durée. Ce qui plaît à tout le monde le premier jour est souvent oublié le lendemain. Les exceptions qu’on pourrait citer sont trop peu nombreuses pour détruire la vérité de mon affirmation. La discussion est une condition nécessaire de la renommée. Tous les artistes éminens, tous les poètes qui méritent la gloire comprennent l’importance de la discussion. Ils s’affligent parfois des reproches qui leur sont adressés, mais ils n’en font pas fi, et sentent bien que la contradiction est un élément de grandeur.

Parfois on m’a trouvé sévère, jamais on n’a tenté d’expliquer mes jugemens par des motifs intéressés. On me voyait approuver ou désapprouver livres et tableaux sans tenir compte de mes amitiés; il fallait bien croire à mon impartialité, sinon à ma clairvoyance. M. Madrazo est le premier qui ait contesté ma sincérité; il est bon que le public sache d’une manière complète dans quelles circonstances s’est produite cette étrange accusation. La discussion grammaticale prouve clairement que M. Madrazo me fait dire ce que je n’ai pas dit; le récit des faits montrera qu’il a délibéré longtemps avant de porter plainte contre moi et contre la Revue. Les pages que j’ai publiées sur l’école espagnole sont du 1er octobre 1855; la lettre de M. Madrazo est du 20 novembre de la même année. Le 29 décembre 1855, j’offrais à un ami de M. Madrazo, non pas l’insertion complète de la lettre, qui m’eût entraîné à une vivacité de polémique que je voulais éviter, mais l’insertion du fond même de la réclamation[1]. Je promettais d’articuler nettement dans la Revue l’accusation portée contre moi, sans essayer de l’atténuer ou de la déguiser. Notre conversation avait deux témoins qui peuvent affirmer la vérité de mon récit. Ma promesse fut accueillie avec reconnaissance, et le mandataire de M. Madrazo se retira en me remerciant. Le 1er janvier 1856, je tenais fidèlement ma promesse : je publiais l’accusation de M.

  1. On doit comprendre en effet que je ne pouvais accepter sans une vive protestation la lettre de M. Madrazo, qui, en mutilant ma pensée, me faisait dire ce que je n’avais pas dit, pour en tirer des inductions contre ma bonne toi. De là la transaction qui eut lieu.