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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/653

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quel droit don Federico s’avise-t-il de décliner la compétence des écrivains français, acceptée par M. Winterhalter? Que signifie l’envoi de ses ouvrages à l’exposition universelle? Il est venu solliciter les éloges de la presse parisienne, et plus d’une plume complaisante a répondu à ses espérances. Il n’a pas à se plaindre de M. Théophile Gautier par exemple. Pourquoi donc ne se résigne-t-il pas de bonne grâce à entendre le blâme après l’éloge? Nous ne savions pas qu’il en était à son troisième style; comment l’aurions-nous su? Entre le Godefroid de la galerie de Versailles et le portrait de la duchesse de Medina-Cœli, il y a si peu de différence, qu’on ne peut deviner les révolutions profondes accomplies dans la pensée de l’auteur. Si quelqu’un est responsable de notre ignorance, c’est à coup sûr M. Ochoa. Pourquoi les visiteurs du Palais des Beaux-Arts n’ont-ils pas trouvé la biographie de don Federico à côté du livret officiel de l’exposition? Par la lecture salutaire de ce précieux document, ils auraient appris toute la valeur, toute l’importance de ce peintre merveilleux. S’ils se sont trompés, si nous avons partagé leur méprise, que notre faute commune retombe sur la tête de M. Ochoa. Il dépendait de lui de nous éclairer, d’inonder les esprits de lumière. Il a négligé de dire à la France ce qu’il avait dit à l’Espagne. Il n’a pas désigné à nos acclamations le grand peintre qui lui avait révélé toutes ses pensées dans une correspondance familière. J’ai tâché de réparer le mal qu’il avait fait à son insu. Aurai-je réussi? Dans tous les cas, il reste à don Federico l’admiration d’un peintre illustre, l’admiration de M. Dauzats. Avec une telle consolation, l’indulgence n’est pas difficile.

Je n’insisterais pas sur ma défense, si j’étais seul en cause : je me contenterais d’avoir établi ma bonne foi; mais il s’agit d’une question de principe. Que M. Madrazo gagne en appel comme il a gagné en première instance, une nouvelle jurisprudence s’établira bientôt, et la critique est réduite au silence. Il ne sera plus permis de discuter les questions de goût. Peinture, statuaire, architecture, musique, poésie, toutes les formes de l’imagination sont désormais affranchies de tout contrôle. Une ère toute nouvelle commence pour les arts; le blâme a disparu sans retour. Une louange universelle accueille avec empressement tous les ouvrages qui veulent bien se produire. La douceur de ce régime sans précédent, inconnu jusqu’ici dans l’histoire de l’imagination, excite l’envie des nations voisines. Les peintres, les sculpteurs, les poètes, méconnus par leurs compatriotes ou jugés trop librement, franchissent nos frontières. La race des Zoïles est à jamais éteinte. Nous allons voir croître, grandir et se multiplier toute une génération d’Homères. Quel rêve enivrant! Si M.