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inquiète et attriste sa jeunesse. Avant de revêtir l’insaisissable enveloppe des fantômes, de devenir le dépositaire silencieux des secrets éternels, il aurait aimé jouir un peu du vêtement que son âme n’a pas usé encore, et mêler ses accens aux mille voix joyeuses de cette vie.

— Mon cher enfant, lui dis-je, j’espère que vous resterez longtemps sur cette terre, et que vous y aurez d’heureux jours. Ah! si l’on pouvait faire un pacte avec les maîtres invisibles de nos destinées, comme je demanderais à recevoir le coup qui peut vous emporter. Là où est votre trésor, dit l’Évangile, là est votre cœur. Mon trésor n’est plus de ce monde. Avec quelle ardeur j’aurais souhaité une de ces apparitions dont nous venons de parler ! Que de fois, aux heures et dans les endroits qui me semblaient le plus propices à ces communications surhumaines, j’ai supplié un esprit adoré de se révéler à moi, de me calmer sur des craintes dont je suis incessamment tourmenté, de m’imposer une expiation, si j’en ai mérité une, de me faire connaître une volonté qu’il me fût possible d’accomplir!

Je vis que Renaud me regardait avec étonnement.

— Mon Dieu, mon colonel, fit-il, il ne peut y avoir dans votre vie, j’en suis certain, que des actions généreuses. En ce monde et dans l’autre, vous devez être bien sûr d’être aimé.

Il dit ces mots avec un accent qui me fit tressaillir.

— Cher enfant, lui ai-je répondu, je vous remercie de vos paroles. Laissons les apparitions de côté. Je le sens d’ailleurs, on peut communiquer avec ceux qui ne sont plus autrement que par des voies surnaturelles.

Cependant, malgré la douceur que ses dernières paroles m’ont donnée, à peine s’était-il éloigné, que j’ai senti un grand trouble. Je me suis rappelé l’un après l’autre les mille chagrins dont j’ai affligé celle à qui j’avais voué tout entière une âme pleine de passions. Que de fois même, en me rendant chez elle, j’ai été effrayé de mes violences! Toute sa personne était un philtre trop fort pour ma raison. Si, dans les accès d’une jalousie insensée, je n’ai pas été vis-à-vis d’elle un meurtrier, l’homme que punit la loi, c’est au hasard ou à Dieu seul que je le dois; ce n’est pas assurément à un cœur maître de lui-même. Mon amour l’avait séparée de tous et de tout. La solitude où je l’avais reléguée ne me suffisait plus. Elle s’y occupait encore d’êtres ou de choses que je prenais en horreur. Il est vrai qu’elle remplissait bien toute ma vie, que j’éprouvais pour elle cette tendresse sans limite dont je voulais être aimé; mais un jour arriva cependant où je fus forcé de la quitter, de retourner à ces aventures lointaines dont je croyais m’être à jamais séparé. Alors que se passa-t-il en elle? Dans ces ténèbres que j’avais avec plaisir amoncelées autour d’elle, pour qu’elle ne trouvât de lumineux que