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quences des brillantes campagnes de 1806 et 1807. Ainsi furent semés des ressentimens implacables, dont nous éprouvâmes la violence quand le jour des représailles fut venu. À mes yeux, c’est dans le tableau de cette époque une ombre que je voudrais effacer. Ce que le regard d’un Français y distingue avec une satisfaction sans mélange et avec un légitime sentiment d’orgueil, c’est qu’alors enfin le procès de la révolution française fut gagné. Ses ennemis sur le continent étaient atterrés ; il n’était personne qui ne tremblât devant l’épée de Napoléon et qui osât s’arrêter à la pensée de s’exposer une fois de plus à ses coups. La paix avec l’Angleterre même était vraisemblable, car l’empereur la voulait, non à toute condition sans doute, mais sincèrement. Ainsi qu’il l’avait dit à un moment où il était moins grand encore, après la victoire d’Austerlitz, il avait épuisé la gloire militaire, et son ambition était d’en conquérir une autre. On pouvait donc se flatter des espérances les plus douces.

Il est tellement vrai qu’à cette époque la cause de la révolution était placée, dans la pensée même de ses ennemis, au-dessus de toute atteinte, qu’on les voyait, mettant à profit avec un discernement qui les honorait les leçons cruelles de l’adversité, s’en approprier les innovations pour leur avantage particulier. La Prusse, chez laquelle les traditions de la féodalité étaient conservées à un degré dont on a lieu d’être surpris pour un pays où un philosophe, le grand Frédéric, avait si longtemps régné, la Prusse, après Iéna, adopta aussitôt un système de réformes libérales dont depuis elle ne s’est point départie, qu’elle n’a fait que développer au contraire. Les hommes qu’on voyait émanciper les paysans, porter une main ferme sur les privilèges de la noblesse, et préparer de leurs mains le règne de l’égalité devant la loi, c’étaient des ennemis ardens de la France et de Napoléon ; c’était Stein, c’était Hardenberg, et ces tentatives ne rencontraient aucune résistance. Le mobile de ces réformes était l’ardent désir qu’on nourrissait de se mettre en mesure de combattre un jour la France avec plus d’avantages ; mais on reconnaît la supériorité d’un adversaire lorsqu’on lui emprunte ses armes : bien plus, on signalait la révolution aux peuples comme un génie tutélaire, en venant chercher un asile sous l’égide de ses principes.

Michel Chevalier.