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et agile comme les guerriers d’Homère ; il porte tous les signes du roi de la création. À son aspect, les Aryens ont reconnu le maître qui les conduira dans la voie désirée, et les brahmanes entonnent un cantique de louanges. Leur allégresse est si grande, qu’ils l’accablent de flatteries capables de lui faire tourner la tête. « Le roi est véridique, s’écrient-ils ; il tient ses promesses ; il est sage, bienveillant, patient, courageux ;… il reconnaît les services rendus, il est compatissant et parle avec douceur ; il respecte ce qui doit être vénéré, il accomplit le sacrifice, il honore les brahmanes… En administrant la justice, il ne fait point de distinction entre l’ami et l’ennemi. »

Il pourrait être dangereux de louer en face un jeune roi, et surtout de le louer avec un pareil enthousiasme. Aussi le poète qui a compilé le Bhagavat-Pourâna a soin de dire que Prithou arrêta les bardes lorsqu’au moment de son sacre ils voulaient par avance exalter ses vertus et ses hauts faits ; il leur adressa modestement ces belles paroles : « Quel est l’homme qui, même capable de réaliser en lui les vertus des grandes âmes, se fait louer par des panégyristes pour des vertus qu’il n’a pas encore[1] ? » Cependant les panégyristes ne tiennent aucun compte des observations du roi. Ils recommencent à chanter en son honneur un hymne de gloire que l’on peut placer parmi les plus brillantes créations de la poésie lyrique des Indiens, et je parle ici de ce lyrisme symbolique qui excelle à rendre les grandes pensées. « Monarque souverain, chef des créatures, il a trait la terre comme on trait une vache, pour assurer la subsistance de son peuple, et semblable à Indra, qui brise en se jouant les montagnes avec le bout de son arc, il a su aplanir la surface de la terre. — Quand, semblable au lion qui redresse sa queue, il parcourut le monde en faisant retentir son arc de corne, invincible dans le combat, les méchans s’enfuirent vers tous les points de l’horizon. »

Les beaux vers récités par les brahmanes étaient comme un chant prophétique, célébrant les futurs exploits de Prithou. Celui-ci se mit donc à chasser les barbares qui menaçaient de reprendre le territoire conquis sur eux par ses ancêtres. — Mais, ajoute la légende, la terre, cachée sous la forme d’une vache, cherchait à fuir jusque dans les régions célestes pour échapper à sa domination, et Prithou, l’arc en main, la flèche posée sur la corde de l’arc, poursuivait toujours la terre stérile, la vache sans lait qui se refusait à nourrir son peuple. Il courait sur ses pas en criant : « Je te briserai, à coups de flèches » en morceaux plus petits que la graine de sésame !… »

Au lieu de la flèche, qui exprime trop visiblement l’idée de guerre et de combats, mettez aux mains de ce roi infatigable le soc d’une

  1. Bhagavat-Pourâna, vol. II, livre iv, chap. 16.