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charrue ou la pointe d’une houe, et vous aurez le type du roi laboureur, brisant en minces parcelles, broyant, ameublissant la terre, pour la rendre plus apte à produire les moissons. Ce fut donc Prithou qui enseigna le labourage aux Hindous, qui leur apprit à défricher un sol obstrué par les racines des buissons, à faire des efforts pour étendre le domaine de la culture, qui se bornait dans le principe aux terres voisines des fleuves. Là ne s’arrêtèrent pas les travaux de Prithou. Ce prince, « père des hommes et qui avait su les nourrir, » leur construisît en divers lieux des habitations selon qu’il convenait à chaque localité et à chaque profession. Avant lui, on ignorait l’art de bâtir, on ne savait pas se grouper dans des villages : il fonda des villes, éleva des forteresses, dessina des parcs, des jardins, et bientôt parurent dans la campagne couverte de moissons de rians hameaux, des bourgades et des habitations temporaires pour les bergers. Dans ces abris, les hommes s’établirent comme ils l’entendaient, et vécurent en sécurité. La terre vaincue se mit au service du laboureur, lui payant au centuple le fruit de ses sueurs et de ses efforts persévérans, et le bœuf, attaché à la charrue, ajouta sa force plus puissante à celle des bras du maître qui l’avait dompté.

Après avoir soumis toute la terre, — c’est-à-dire repoussé les barbares hors des limites de ce qui fut appelé par les anciens le Madhyadéça, — pays du milieu[1], — Prithou fixa sa résidence entre le Gange et la Djamounâ, dans le plus beau climat de l’Inde. Il semble avoir été aussi le premier souverain à qui fut appliqué le titre solennel de râdja, du radical râdj, briller, parce que, semblable au soleil, dit la légende, il savait répandre à la fois et recueillir les richesses de la terre, qu’échauffait sa puissance. Ainsi l’idée de roi, chez les Hindous, exprime à la fois le rayonnement du soleil, son éclat impossible à soutenir, son action bienfaisante quand elle est tempérée, et enfin la propriété qu’a cet astre de faire mûrir les fruits et les récoltes. On ne peut nier qu’il n’y ait de la grandeur dans cette image, et aussi une véritable poésie dans tout ce qui se rapporte au roi Prithou, civilisateur de son peuple, succédant à une ère de troubles et de misère. Il y a lieu de penser que ce souverain représente toute une dynastie, et que son œuvre, à peine ébauchée, fut continuée par ses successeurs. Toujours est-il que le brahmanisme l’a offert en modèle à la postérité, parce que son gouvernement ramena sur la terre trois biens qui sont la source de tous les autres : la piété, la justice et la paix. Et ces trois biens, ils résulteront toujours de l’union intime des deux premières castes. C’est une vérité fondamentale exprimée par le législateur Manou sous toutes

  1. C’est le pays compris entre l’Himalaya, les monts Vindhyas, qui séparent l’Inde centrale du Dekkan, le confluent du Gange et de la Djamounâ, et les sables au nord-ouest de Delhy. Voir Manou, livre ii.