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les formes et particulièrement dans une stance célèbre[1] que l’on peut, en s’aidant des commentateurs, développer ainsi, — Sans les brahmanes, les kchattryas ne peuvent prospérer, car, privé du prêtre, le guerrier n’a plus personne qui lui enseigne l’ensemble de ses devoirs ; il lui manque le sacrifice expiatoire, le sacrifice qui nourrit les dieux, la connaissance des lois criminelles. Sans les kchattryas, les brahmanes ne peuvent s’élever, car, privés du guerrier, le prêtre et le sage qui méditent dans la solitude, n’étant plus protégés, ne peuvent accomplir leurs œuvres, qui sont le sacrifice, la contemplation de Brahma, etc. En s’unissant au contraire, la caste sacerdotale et la caste militaire s’accroissent en ce monde et dans l’autre par l’aide mutuelle qu’elles se prêtent pour obtenir les quatre fins qui sont toute la destinée humaine : le devoir approprié à chaque état, à chaque classe ; — l’intérêt, qui signifie les diverses manières de se procurer des moyens d’existence ; — l’amour, qui résume en lui le mariage et la famille, — et la délivrance finale, but suprême de la vie humaine, aspiration incessante de l’âme vers la Divinité créatrice.

Cette harmonie parfaite entre les deux grands pouvoirs de l’état dura dans l’Inde autant que le règne de Prithou, et elle porta les fruits heureux que nous venons de signaler. Après lui, les légendes flétrissent des princes qui tentèrent de déplacer un équilibre toujours difficile à maintenir, et s’efforcèrent de faire pencher la balance du côté de la puissance temporelle. La liste en est nombreuse ; je ne citerai que ceux dont l’histoire peut nous fournir l’occasion de surprendre la pensée brahmanique artistement cachée sous les dehors d’un conte merveilleux.

D’abord c’est le roi Nahoucha, qui s’était rendu célèbre par ses conquêtes. Il avait soumis la terre, et comme on le nomme aussi Deva-Nahoucha, quelques auteurs l’ont identifié avec le Dio-nysus des Grecs. Enivré de sa puissance, il trouva magnifique de faire porter son palanquin par une centaine de brahmanes. Ceux-ci, peu habitués à un semblable métier, marchaient d’un pas inégal et comme à contre-cœur. Pour les faire avancer plus vite, Nahoucha frappa du pied la tête de l’un d’entre eux, le sage Agastya, en lui criant : Sarpa, sarpa, c’est-à-dire, avance, avance ! Et le solitaire, que ses austérités avaient rendu puissant, répondit par ce même mot, qui a aussi la signification de serpent. Tout aussitôt le grand roi, changé en reptile, se mit à ramper vers les monts Himalaya, où il attendit durant bien des siècles la venue du héros divin qui devait lui rendre la forme, humaine et lui ouvrir la porte des cieux.

Qu’il s’agisse encore cette fois d’un prince déposé par les brahmanes pour avoir tenté de s’élever au-dessus d’eux, et qu’il y ait

  1. La stance 322 du livre ix.