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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/321

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MAURICE DE TREUIL.

naître assez pour être assuré que de telles propositions ne me seront jamais faites, par vous surtout.

M. Closeau du Tailli rougit un peu. — Et vous avez raison, reprit-il vivement. Voici en quelques mots le portrait de la fiancée à qui échoit le million dont je vous parle : dix-huit ans, un pied de déesse, des mains de fée, un visage de chérubin, un esprit de démon et une voix de sirène.

— Quelle mythologie ! murmura l’artiste.

M. Closeau du Tailli donna un grand coup de sa canne sur un meuble.

— Vous croyez que j’exagère ? s’écria-t-il ; venez donc chez M. Sorbier dimanche, et vous verrez sa fille. Mlle Sophie Sorbier.

Maurice se souvint de ce que Laure lui avait dit la veille dans ce long entretien qui avait eu la lune pour témoin.

— Mais, reprit-il, quelle raison vous a fait penser à moi pour une héritière à la fois si riche et si belle ?

— Parce que vous me plaisez.

— C’est là tout ?

— N’est-ce point assez ? Au premier jour que je vous ai vu, je vous ai pris en amitié. Je suis comme ça, moi, le cœur sur la main. Un grand désir m’est venu un matin de vous aider à faire votre chemin. L’occasion s’est présentée toute seule. Mon ami M. Sorbier m’a chargé de lui trouver un mari pour sa fille, dont je suis le parrain. J’ai pensé tout de suite à vous, mon cher Maurice. Vous avez du talent, elle a de la fortune, je confonds le tout ensemble. Je fais mon affaire du consentement paternel, vous ferez bien la vôtre du consentement de la fille, et nous publions les bans dans trois semaines.

— Vous savez que je n’ai rien ?

— L’argent est inutile, vous avez la réputation, la croix et la particule. Tel qu’il est, Maurice de Treuil vaut Sophie Sorbier.

Ce dernier mot toucha Maurice ; il se reprocha les pensées qu’il avait eues, et serrant la main de M. Closeau du Tailli :

— Ma foi, dit-il, vous êtes un galant homme.

— Ainsi voilà qui est convenu ? reprit M. Closeau du Tailli. Dans trois jours je vous présente, à la fin du mois je vous marie.

— Un instant ! diable ! vous courez comme une locomotive ! En supposant que je plaise à Mlle Sorbier, encore faut-il qu’elle me convienne.

Le gros rentier haussa les épaules.

— Elle a un million, dit-il.

— On a vu des millions qui avaient un fort mauvais caractère.

— Feu Mme Closeau du Tailli avait aussi un fort mauvais caractère. Vous voyez que je n’en suis pas mort.