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et dont l’amitié lui fut fidèle, ne l’approuvait pas en tout. Le docteur Hare ne s’entendait avec lui que dans une certaine mesure. Le juge Coleridge, déjà séparé de lui par la politique, se croyait toujours sur le point de l’être encore par la religion, et avait grand besoin de se rappeler combien il aimait sa personne pour ne pas trop haïr ses opinions. Les jeunes gens mêmes qu’il envoyait devant lui à Oxford n’y demeuraient pas toujours inaccessibles à l’influence du lieu ; mais heureusement ils ne cessaient pas de rendre témoignage en sa faveur par leur vénération pour leur maître et par le caractère de moralité chrétienne qu’ils tenaient de lui, et peu à peu, le temps ayant adouci l’aigreur des controverses et arrêté les pro grès du newmanisme, Arnold, plus calme et rassuré lui-même sur l’avenir prochain de la société, renonça à toute agression, et réserva ses forces pour des ouvrages de longue haleine, où ses idées devaient achever de déposer toute forme polémique. En même temps l’œuvre de Rugby plaidait sa cause, et l’on peut dire que, lorsqu’enfin il rentra dans l’université d’Oxford, on s’y étonna de l’avoir traité en ennemi. Ses idées propres n’avaient pas triomphé ; mais sa piété et son savoir, ses talens et ses vertus, l’ascendant et la pureté de son caractère ne rencontraient plus de contradicteurs. Aujourd’hui il est peu d’âmes vraiment chrétiennes en Angleterre qui ne se sentent en sympathie avec l’âme d’Arnold à travers le tombeau.

On a dit avec raison qu’il ressemblait à un homme de l’antiquité converti au christianisme. L’histoire grecque et romaine l’avait pénétré de son esprit ; il en aimait non-seulement les beaux écrits, mais les beaux exemples. Il opposait volontiers le grand rôle de la vertu dans les sociétés anciennes à tout ce qui lui semblait vil ici-bas ; mais, quelque contraire que paraisse un tel sentiment aux pré jugés du calvinisme, il n’en était pas moins un protestant plein de ferveur. Sans doute il préférait la piété à l’orthodoxie. Les termes des symboles n’étaient point pour lui sacrés comme la vérité, dont ils étaient l’imparfaite expression. Ses idées sur l’interprétation de l’Écriture étaient fort analogues à celles de Coleridge. Les droits de la conscience morale, l’esprit de l’enseignement du Christ devaient, selon lui, prévaloir contre la lettre du texte ou le commentaire traditionnel. Il tenait la fraude pieuse pour un sacrilège, et regardait comme un devoir la sincérité absolue. Heureux celui chez qui l’expérience de la vie a laissé intacte cette foi entière dans la seule vérité ! Je ne voudrais pas nier que la franchise parfaite d’Arnold et sa parfaite indépendance aient quelquefois fourni des armes à l’incrédulité. Il ne devait pas être commode à une église officielle de le compter parmi ses membres, et ses aveux comme ses jugemens ont dû embarrasser souvent la politique de l’orthodoxie. Cependant,