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nos jours. De l’étude attentive des faits ainsi que de l’expérience personnelle et pratique que j’ai acquise sur la terre même du Japon, il sera aisé, je l’espère, de tirer une exacte appréciation des mœurs, du caractère, des institutions de ce mystérieux pays, des véritables ressources qu’il peut offrir au commerce, et des effets qu’on peut attendre des nouveaux traités conclus avec l’Angleterre, la Hollande et les États-Unis.


I

En 1542, trois Portugais, Antonio Mota, Francisco Zeimot et Antonio Pexot, furent jetés par la tempête sur la côte du Japon ; ils doivent à cet accident l’honneur de l’avoir découvert[1]. Quelques années s’écoulèrent sans qu’on parût songer à entrer en relations avec la terre mystérieuse où le hasard avait conduit les trois Portugais, et c’est un missionnaire qui ouvrit réellement la route du Japon. En 1547, saint François Xavier convertit à Malacca un jeune Japonais ; deux ans après, il le ramena au Japon et se mit à y prêcher l’Évangile. Dès lors les ports japonais commencèrent à être visités par les Européens. Les missionnaires, pénétrant au cœur de l’empire et joignant l’exemple à leurs enseignemens, répandirent d’abondantes aumônes et fondèrent de vastes et nombreux établissemens de charité. La nouvelle croyance fut accueillie avec enthousiasme dans toutes les classes de la société japonaise, même parmi les plus hautes, à tel point qu’en 1582 trois puissans seigneurs japonais firent le voyage de Rome pour présenter leurs hommages au pape Grégoire XIII. Le commerce s’étendit avec la même rapidité et procura aux Portugais des profits considérables ; ils apportaient des soies écrues de Chine, des draps d’Europe, des médicamens et des objets de curiosité qu’ils vendaient à très haut prix. Les retours se faisaient en or ou en argent, ce qui prouve que dès cette époque, malgré la liberté dont jouissait le commerce, ce moyen seul paraissait avantageux. Montanus, Valentin et Meylan évaluent à 18 ou 20 millions de francs environ les sommes qui s’ex portaient annuellement du Japon. Kaempfer les porte même à un chiffre beaucoup plus élevé[2].

Cette grande prospérité commerciale a dû se soutenir longtemps, car, même à une époque où les relations des Portugais avec le Japon avaient beaucoup perdu de leur importance, ceux-ci exportaient encore des sommes considérables : 15 millions en 1636,

  1. On ne saurait attribuer un caractère sérieux aux vagues indications données dès 1275 par le Vénitien Marco Polo et restées sans résultat.
  2. Pour plus de concision, je réduirai toutes les valeurs en chiffres français.