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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/756

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La vieillesse des individus dans la vieillesse de la race a quelque chose de mystérieux qui commande le respect. Du reste, aucuns signes de décadence ; les enfans poussent comme des jets vigoureux sous la misère des vêtemens, et c’est parmi ces pauvres filles israélites que se conserve encore un des types de beauté les plus dignes de l’admiration des artistes. Israël a gardé d’ailleurs jusque dans les cités du nord les habitudes de la vie sous la tente. La cuisine se fait en plein air ; le bruit des poissons frits qui babillent au fond de la poêle alterne avec les cris des enfans qui jouent, avec la voix des parens qui annoncent leurs marchandises. La vente se pratique au milieu de la rue ; les marchands tiennent boutique sur le pavé. Des débris de ménage, de garde-robe, de mobilier, tout ce qui n’a déjà plus de nom dans les langues humaines, les reliques de tous les cultes, des crucifix, des images de dévotion, ils tiennent tout. La poésie des guenilles s’étale à chaque pas ; ces haillons racontent des existences humaines. Toutes les décrépitudes de la coquetterie, de la gloire, de la beauté, les vieilles robes et les vieux galons, sont la tristes, consternés, maniés par la foule qui les examine et qui rit. Les Juifs brocantent ces lambeaux informes ; ils fondent l’anneau de mariage, dont l’or est du moins resté pur. Dans ces rues fangeuses et humides, où une sueur verte baigne les pavés, où de pâles visages se dessinent sur des murs livides, où se confondent toutes les vieilles ferrailles rongées de rouille et les morceaux de pourpre rongés de vermine, quelques inscriptions de boutique, écrites dans une langue mystérieuse et morte, appellent les regards étonnés. Quelquefois ces caractères hébraïques tracent des phrases construites dans l’idiome d’Israël ; le plus souvent les signes seuls sont étrangers, et les mots sont hollandais.

On a fait de tout temps peser sur les Juifs une accusation de rapacité qui s’appuie malheureusement sur des faits peu contestables, mais qui devrait, pour rester juste, atteindre surtout les classes inférieures de la famille israélite. Il faut se souvenir que la condition de ces classes n’a guère changé depuis le moyen âge. Après les avoir forcées à s’abattre sur le lucre, comme sur la seule ressource qu’elles avaient pour fléchir l’intolérance de leurs maîtres, on a ensuite rejeté sur elles ce que cette pratique obstinée du gain pouvait avoir d’odieux[1]. Quand on creuse les faits, on trouve que les classes

  1. Il est vraiment pénible de rencontrer dans les rues de La Haye et d’Amsterdam, pendant les froides et pluvieuses nuits d’hiver, des enfans de cinq à six ans qui, exposés bravement à toutes les inclémences de la saison, d’une voix prématurément brisée crient des allumettes chimiques ou tout autre genre de petit commerce. Les autres catégories de la race israélite ne sont point exemptes d’une telle avidité ; mais l’éducation corrige en elles ou dissimule ce que cette soif de l’or a de caractéristique et d’héréditaire.