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reposent sur un principe invariable. Le diamant déconcerte souvent l’ouvrier qui le taille par les transformations les plus inattendues. Quelques diamans jaunes ou bruns perdent leur teinte originelle par le travail, d’autres au contraire changent du limpide au brun sur le métier. Il est nécessaire de prévoir toutes ces transformations, si l’on ne veut point s’exposer à des pertes énormes. Une telle connaissance exige une grande sûreté de coup d’œil et en quelque sorte certaines transmissions héréditaires. Cela ne s’acquiert point, c’est un instinct naturel. Il faut, comme disent les directeurs d’atelier, être né dans la chose.

Une société établie à Amsterdam pour la taille du diamant possède à elle seule trois ateliers, dans lesquels on occupe six cents ouvriers, sans compter les aides et les apprentis. La quantité de la matière taillée varie suivant l’arrivée du diamant brut, mais on peut évaluer cette quantité à 200,000 carats[1] par an. Cela représente une valeur de 10 millions de francs. La nature des travaux sépare les ouvriers diamantiers en deux catégories, les tailleurs et les polisseurs. Les tailleurs rentrent dans la condition ordinaire des salariés ; on les paie à la pièce ou au carat. Les polisseurs paient le loyer des places qu’ils occupent et tous les objets nécessaires à leur travail. Cette circonstance demande une explication. Il y a vingt ou vingt-cinq ans, chaque ouvrier polisseur travaillait chez lui. Il avait une machine qu’il faisait tourner par des hommes. Les entrepreneurs se sont réunis et ont bâti des fabriques où le mouvement est fourni soit par la force des chevaux, soit par la force de la vapeur, et où les ouvriers paient en retour aux maîtres une somme déterminée. Les maîtres ont trouvé à ce changement un grand bénéfice, et les ouvriers un certain avantage. La rétribution dépend de l’habileté de chacun et varie de 25 jusqu’à 100 francs par semaine, elle va même quelquefois au-delà. Sauf les chômages, la condition des diamantiers serait donc relativement heureuse et supérieure à celle de tous les autres ouvriers. Malheureusement l’industrie du diamant, comme la première industrie de luxe, est aussi la première atteinte par les crises politiques et commerciales. Lorsque j’étais à Amsterdam, les diamanteries souffraient beaucoup de la guerre d’Orient. Les ouvriers travaillent pendant l’hiver jusqu’à huit heures du soir ; les salles sont éclairées au gaz. Un jour par semaine, le jeudi, ils travaillent quinze heures, afin de regagner la perte du samedi, qui est la fête du sabbat, le dimanche des Juifs. Il est curieux de voir l’indifférence avec laquelle ces mains noires traitent les parcelles de carbone cristallisé auxquelles

  1. Le mot carat vient de la graine d’une plante nommée en Afrique kuara, et qui, transportée dans l’Inde, servit à peser les diamans dans l’origine de l’exploitation.