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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/804

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portraits peints par Pagnest, quel qu’en soit le mérite. De ces deux artistes, le premier ne s’est guère attaché qu’à séduire le regard par l’adresse du pinceau, par une exécution matérielle plutôt soignée que savante ; le second, qui poussait la recherche de la précision jusqu’à la curiosité minutieuse, est mort trop jeune et a produit trop peu pour prendre rang parmi les peintres de ce siècle. Quant aux portraits de M. Kinson, l’oubli parfait où ils sont relégués aujourd’hui n’est qu’un bien juste châtiment de la faveur qui les avait accueillis Il y a quarante ans, et dont une erreur fâcheuse prolongea la durée jusqu’à la fin de la restauration.

Plus près de nous, qu’y a-t-il ? Quelques morceaux de la main de M. Ingres et par conséquent exécutés avec une puissance magistrale ; mais, si beaux que soient les portraits de M. Bertin, de Mme de Rothschild et plusieurs autres ouvrages du même peintre, les conditions ordinaires du genre y semblent en quelque façon dépassées. L’intraitable autorité du sentiment et du style ressort si bien de ces œuvres toutes personnelles, qu’on se désintéresse du caractère propre aux modèles pour tenir compte à peu près uniquement des volontés de l’interprète. En un mot, le sévère pinceau de M. Ingres ne saurait condescendre à cette sorte de bonhomie, à l’expression de familiarité que comporte la peinture de portrait. Le fait contemporain n’est pour lui qu’un texte sur lequel il disserte avec une éloquence souvent admirable : ce n’est pas, comme pour le pinceau de Gérard, un exemple qu’il importe d’accepter non sans choix, mais avec soumission.

Plusieurs artistes formés à l’école de M. Ingres ont montré une habileté remarquable dans la peinture de portrait. On doit au talent élégant et fin de M. Amaury-Duval un assez grand nombre d’œuvres exécutées avec une rare pureté de goût et une singulière délicatesse. Les portraits qu’ont produits MM. Flandrin, Henri Lehmann et Mottez se recommandent par la fermeté du style et cette science de la forme qu’on retrouve dans de plus vastes travaux signés des mêmes noms ; mais en général l’art de la composition ajoute peu à la valeur, d’ailleurs très réelle, de ces portraits. L’extrême sobriété de l’ordonnance, motivée, il est vrai, par les dimensions ordinairement assez restreintes de la toile, la simplicité des fonds, qu’accidentent tout au plus les plis d’un rideau ou les moulures d’un lambris, tout, jusqu’au choix du costume, exprime le goût de la modération et des vérités un peu austères. Nous ne prétendons pas accuser cette réserve, encore moins y voir un signe d’impuissance ; les peintres qui traitent ainsi le portrait ont fait ailleurs leurs preuves d’imagination, et l’on serait mal venu à l’oublier. Nous voulons seulement indiquer en quoi une pareille méthode diffère de la manière de Gérard, et aussi quel genre de supériorité gardent les œuvres de celui-ci sur les œuvres de notre temps qui méritent le mieux l’estime. Si dignes d’éloges