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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/805

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que soient les portraits peints par MM. Flandrin, Lehmann et quelques autres, il est juste de les louer surtout à titre d’études sérieuses et savamment fidèles. Les portraits de Gérard sont de véritables tableaux, qui joignent au mérite de la fidélité le mérite de l’invention.

Est-il besoin de mesurer la distance, bien autrement grande, qui sépare les ouvrages du maître des portraits peints par cette fraction de l’école dont M. Winterhalter est le chef le plus accrédité ? L’art n’est intéressé que d’assez loin dans ces productions parfois agréables, en tout cas essentiellement futiles : elles relèvent plutôt de la mode, et le genre de succès qu’elles obtiennent semble bien en rapport avec les tendances qu’elles expriment. Les portraits de M. Couture peuvent être rapprochés de ceux de M. Winterhalter, non qu’il y ait analogie extérieure entre les deux manières, mais parce qu’elles procèdent au fond l’une et l’autre du même principe, — la prédominance attribuée au moyen matériel, sur l’étude et l’expression de la vérité morale. Enfin, depuis quelques années, bon nombre de peintres de portrait travaillent à parodier dans leurs ouvrages l’aspect, le style, le ton même des œuvres anciennes. Sous prétexte d’éluder les conditions imposées par la mode et d’obvier aux inconvéniens d’une représentation qui dans un court délai pourra paraître surannée, on ôte tout caractère de véracité à la composition d’un portrait. On contrefait Van-Dyck ou Titien, Velasquez ou Greuze, et l’on travestit l’art et les gens de son temps, faute de savoir tirer parti de ce que l’on a dans l’âme et sous les yeux. Gérard n’a ni cette impuissance de sentiment, ni ces caprices. Il reproduit, non sans discernement, non sans beaucoup de goût assurément, mais aussi avec sincérité, les mœurs, les costumes, la physionomie de l’âge où il a vécu. Il ne subit pas aveuglément les influences qui l’entourent, il ne s’y soustrait pas non plus de parti pris, et les personnages qu’il représente vivent de leur vraie vie, au lieu de dérober le caractère qui leur est propre sous une apparence factice. C’est par cette bonne foi intelligente, c’est par cette aptitude à combiner dans une juste mesure l’art et la naïveté que Gérard, à l’époque de sa première manière, se montre digne des maîtres qui l’avaient précédé dans notre pays. Il aurait pu conquérir dans l’histoire de l’école française une place plus élevée que la place qu’il occupe, il aurait pu laisser un plus grand nom, s’il avait voulu persévérer jusqu’au bout dans la voie de ses premiers succès. Tel qu’il est toutefois, ce nom mérite d’être inscrit parmi les noms des peintres qui ont le mieux continué dans notre siècle les traditions de l’art national : art tout de raison, de goût, de savoir sans ostentation, art sage par excellence, et dont on n’est tenté peut-être de méconnaître les caractères qu’en vertu même de sa retenue.


Henri Delaborde.