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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/815

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du gouvernement d’Alexandre ayant manifesté les généreuses intentions qui l’animaient, Spéranski n’eut plus aucun motif de demeurer à l’écart. Dès la fin de 1801, le prince de Troschtschinsky, ministre des affaires étrangères, l’appela comme directeur dans son administration. Il y avait beaucoup de confusion à cette époque dans les attributions des fonctionnaires supérieurs. Le jeune jurisconsulte, qui devait mettre fin à ce désordre, en profita d’abord pour porter son activité sur tous les points. On le verra passer d’un ministère à l’autre, et souvent garder une position active dans deux administrations différentes. Il avait su se rendre indispensable ; dès qu’une affaire grave se présentait, on avait recours à lui. À peine fut-il placé auprès du prince Troschtschinsky, que le comte Victor Kotschubey, ministre de l’intérieur, lui confia aussi une direction de son ministère ; en même temps il était appelé avec voix délibérative dans ce conseil de l’empire dont il allait bientôt régulariser et conduire les travaux. C’est ainsi que les ministres se disputaient sa collaboration avant qu’il les dominât tous du haut d’une position exceptionnelle.


II

Chargé simplement d’une direction ministérielle auprès du comte Kotschubey, M. Spéranski, en réalité, était déjà ministre dès 1801. Parfaitement initié à la situation de l’Europe, attentif à tous les progrès de l’administration en Angleterre et en France, il voulait que la Russie marchât de pair avec les puissances de l’Occident. C’était l’heure où le premier consul réorganisait la France, c’était le moment où Pitt faisait manœuvrer avec tant de vigueur et de gloire la constitution de la vieille Angleterre ; ces grands exemples excitèrent l’émulation de Spéranski. Il inaugura son œuvre de réforme par la réorganisation du ministère de l’intérieur, et tous les ministères de l’empire se réglèrent bientôt sur ce modèle. Il s’efforça de substituer partout le droit commun au privilège, la loi à l’arbitraire. Il voulait créer des serviteurs dévoués comme il l’était lui-même. Pour cela, il fallait que l’avancement fût régulier, que des récompenses certaines fussent assurées aux services rendus. L’amour de la justice anime toutes les mesures dont il a été le promoteur. Avide de lumière, il réforma aussi la langue de l’administration. Jusque-là, les actes des ministères étaient encore rédigés dans un jargon informe ; il donna l’exemple et imposa l’habitude d’un style net, précis, du vrai style des affaires. Il attachait un prix singulier à la forme, sachant bien que les injustices et les abus peuvent se dissimuler plus aisément sous la barbarie du langage. On affirme que ses rapports,