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Savonarole opéra sa conversion malgré les assauts qu’il eut à soutenir contre les autres et contre lui-même, et comment enfin il reçut du saint prophète l’habit de dominicain.

Après avoir célébré avec enthousiasme et décrit avec la minutie de l’amour les traits de son maître adoré, jusqu’à la délicatesse de ses membres, et cette main qui était si fine, qu’elle semblait reluire :

Era di membra a modo dilicato
Che quasi relucea sua santa mano,

le poète (car frère Benoît mérite ce nom) nous montre le diable furieux des succès de Savonarole. Comme Milton, l’auteur fait parler Lucifer au milieu de l’assemblée des démons, et là résoudre cette mort de Savonarole, qu’un pape devait ordonner ; puis, revenant sur la terre, son récit poétique de la fin de Savonarole acquiert un grand intérêt, car il parle de visu. Il était avec lui dans le couvent de Saint-Marc, quand on est venu l’arrêter ; il a fait pleuvoir sur les soldats les tuiles du couvent. Il a entendu et il répète le dernier discours que Savonarole a prononcé devant l’autel ; il s’écrie : « J’ai vu de mes yeux le prophète tomber dans les mains des ennemis… Je me mis en devoir de le suivre, feignant d’être avec lui, de sa compagnie ; mais cette foule mauvaise me repoussa en arrière, et moi, chassé, je restai seul dans la rue, absorbé dans la contemplation d’un si grand outrage fait au pasteur de mon âme. » Tout ce récit est extrêmement touchant par sa naïveté, et précieux par les détails historiques qu’il renferme.

L’histoire du commerce et de l’industrie a trouvé place, dans les Archives, à côté de l’histoire proprement dite. Les Vénitiens, qui, les premiers, eurent le génie du commerce au sein d’une époque guerrière, s’efforcèrent sagement d’attirer chez eux les marchands et les artisans des autres pays, en les traitant sur le pied d’une égalité complète avec les nationaux, en laissant leurs corporations s’administrer et se gouverner elles-mêmes. Les Florentins eurent à Venise de nombreux établissemens de commerce. Un règlement de la compagnie des Florentins, en 1556, nous apprend quelle était l’organisation de l’association commerciale des marchands de Florence établis à Venise. Un privilège, accordé en 1201 par Léon, roi d’Arménie, aux Vénitiens, montre à quel point Venise avait su faire, au commencement du xiiie siècle, accepter son autorité et sa puissance. Elle avait obtenu que toute affaire commerciale serait jugée d’après les lois de la république (jus venetum). Si un bâtiment portant des marchandises vénitiennes faisait naufrage, contrairement au droit d’épave, si généralement établi au moyen âge, ces marchandises n’étaient point dévolues au souverain d’Arménie. Le privilège confère aux Vénitiens le droit d’importation et d’exportation en toute