Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/899

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MM. Antoine et Arnaud d’Abbadie quittèrent la France le 1er octobre 1837, avec le désir d’explorer l’Abyssinie et de rechercher si, dans les nombreux cours d’eau qui descendent de cette région montagneuse, ils ne trouveraient pas les sources du Nil-Blanc. Ils abordèrent par la Mer-Rouge au port abyssin de Massoah, d’où ils gagnèrent Gondar, la plus grande ville d’Abyssinie. Cette capitale fut leur véritable point de départ : l’un des frères retourna en France pour rassembler tout ce qui pouvait être nécessaire à leur grande entreprise, et pendant ce temps M. Arnaud, celui qui demeurait en Abyssinie, se livra à l’étude de la langue et des intérêts du pays. Par ses talens militaires et sa bravoure, il se concilia l’amitié d’un chef du Godjam, province méridionale de la contrée, et au milieu des expéditions guerrières auxquelles il prit part, il recueillit des renseignemens précieux pour la géographie. Les deux frères se réunirent de nouveau à Massoah en mars 1840 ; une année entière ils furent retenus sur les bords de la Mer-Rouge par la mauvaise volonté d’un chef abyssin, puis par un accident cruel, qui priva M. Antoine d’un œil et le rendit longtemps malade. Les courageux voyageurs ne se laissèrent pas détourner de leur dessein par ces pénibles obstacles ; ils mirent à profit leur séjour forcé dans le nord de l’Abyssinie pour relever avec la plus grande exactitude les cours d’eau, établir les latitudes, réunir un ensemble de routes et de directions, recueillir des généalogies de tribus et un vocabulaire de leur langue. En 1842, M. Arnaud parvint à gagner le plateau abyssin ; mais son frère n’échappa qu’avec peine à la mort, au milieu des populations insurgées contre le chef qui le protégeait. Il chercha un refuge dans l’église cophte de Saint-Sauveur, à Adawa, et gagna Condar, d’où il fit plusieurs excursions au lac Demba ou Tsana et aux sources de l’Atbara ou Tackazé, premier affluent de la rive droite Nil. Deux années s’écoulèrent encore, pendant lesquelles les deux frères se trouvèrent mêlés aux querelles des petits souverains de la contrée ; mais au milieu même de cette distraction involontaire ils ne cessèrent pas un instant de poursuivre opiniâtrement leur but, cherchant partout des informations, et discutant les renseignemens qui leur parvenaient sur les divers cours d’eau qui contribuent à former le Nil. Après les plus sérieuses investigations, ils pensèrent que le Godjab, rivière qui tourne autour de la province méridionale de Kaffa en formant une espèce de spirale, devait, réunie à l’Umo, être le principal affluent du Nil-Blanc. Dès lors ils résolurent, malgré les difficultés et les dangers qui les menaçaient, de faire un voyage dans le pays d’Inarya, que baignent ces deux cours d’eau, et de déterminer positivement ces fameuses sources qu’ils comptaient enfin reconnaître. Les préparatifs de cette nouvelle expédition remplirent plusieurs mois, après lesquels MM. d’Abbadie quittèrent Gondar le 18 février 1843. Des dissensions agitaient toute l’Abyssinie ; une armée nombreuse était chargée de châtier les rebelles. Les deux frères se joignirent à cette multitude tumultueuse et guerrière, et la suivirent dans ses divers campemens, profitant de toutes les occasions pour compléter leurs informations. Ils recueillirent de la bouche des indigènes tous les renseignemens qu’il leur fut possible de se procurer, et, après bien des recherches, ils finirent par reconnaître dans le Gibé d’lnarya, dont la source se trouve dans la forêt de Bâbya, le tributaire principal de l’Umo ; cette rivière, étant la plus considérable de tout ce bassin, leur parut aussi devoir