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— Une lettre de mon fils ! murmura le vieillard, une lettre de ce pauvre Karl, qui ne nous avait pas écrit depuis plus de trois ans ! Gretchen ! Gretchen !…

La jeune fille qu’il appelait parut sur le seuil de la porte, tenant à la main la coiffe du dimanche, qu’elle s’occupait à festonner. — Qu’y a-t-il, mon père ? demanda Gretchen.

Le vieux paysan ne répondait pas : il lisait lentement, épelant chaque mot, à demi-voix, et trop bas cependant pour que Gretchen pût l’entendre. Celle-ci, debout devant le vieillard, le regardait avec attention ; elle cherchait à deviner sur sa physionomie l’impression que lui causait la lecture de la lettre. — Eh bien ! mon père, dit-elle enfin avec une vivacité impatiente, est-ce de mon frère, est-ce de Karl ? Où est-il ? que fait-il ?…

— Où il est ? répliqua le vieillard. Tu le sais bien, à deux mille lieues d’ici, en Amérique. — Et il replia la lettre.

— Mais enfin quelles nouvelles ?

— Les nouvelles, mon enfant, elles sont bien tristes, va ! Je veux dire qu’il m’annonce des choses bien sérieuses… Quant aux nouvelles, j’aurais tort d’affirmer qu’elles sont mauvaises : elles sont bonnes, trop bonnes même…

— Mon cher père, reprit Gretchen en s’asseyant près du vieux laboureur, je ne vous comprends pas. Voyons, dites-le-moi franchement, que vous écrit mon frère ?

— Oh ! il en a écrit bien long ! Il a parfaitement réussi là-bas ; ses affaires sont en bon chemin ; il est marié…

— Eh bien ! tant mieux ! répliqua la jeune fille. Vous serez tranquille maintenant ; je ne vous verrai plus tourmenté, inquiet, comme cet hiver. Je vous le disais bien, Karl ne donnera de ses nouvelles que quand il aura quelque chose de bon à nous apprendre.

— Ce n’est pas tout, interrompit le vieillard, écoute ce passage que je vais te lire, écoute-le bien : « Enfin, mon père, je vous en conjure, vendez tout ce que vous possédez là-bas, — et cela n’est pas grand-chose, — vendez tout et venez nous rejoindre. Vous serez heureux auprès de nous, et sans vous notre bonheur ne saurait être complet. Tout sera prêt pour vous recevoir. Oh ! nous trouverons bien à marier Gretchen par ici… »

— Quoi ! s’écria la jeune fille ; vendre tout, champ, jardin, maison, et puis partir !… aller en Amérique !

Walther regarda fixement sa fille et lui répondit par un signe de tête affirmatif ; puis, lui prenant les deux mains avec tendresse, il ajouta :

— Il y a longtemps que mon parti est pris ; j’attendais que ton frère nous appelât. Ici, vois-tu bien, la pauvreté nous gagne, mon