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la peinture comme les autres professions. On commence à traiter la renommée comme une chimère, comme un enfantillage. Si le mal que je signale n’a pas encore atteint toutes les intelligences, il se propage de jour en jour, et quand on dit aux habiles : « Croyez-moi, dans votre intérêt produisez moins, produisez plus lentement, vous durerez plus longtemps, » ils accueillent par un sourire ce charitable avertissement. Ils ne tiennent guère à laisser un long souvenir, ils tiennent à voir les acheteurs se presser dans leur atelier, avant même que leur pensée ait revêtu une forme précise. Au milieu de telles préoccupations, comment les œuvres importantes pourraient-elles se multiplier ? Faire vite est mis au-dessus de bien faire, et pour résister à l’entraînement, il faut posséder un caractère solidement trempé. Cependant depuis quelques années l’administration municipale a pris le sage parti d’encourager la peinture murale. Cette résolution n’a pas encore porté tous les fruits qu’on attendait : les compositions exécutées sur place demeurent souvent aussi insignifiantes que les tableaux destinés aux galeries ; cependant il y a des exceptions que je n’ai pas besoin de rappeler, et qui sont présentes à toutes les mémoires. M. Hippolyte Flandrin doit à la peinture murale la meilleure partie de sa renommée. M. Sébastien Cornu, dans la décoration d’une chapelle à Saint-Séverin, a prouvé qu’il avait dignement profité des leçons de son illustre maître, et chacun sait aujourd’hui qu’il faut le compter parmi les meilleurs élèves de M. Ingres. Il est permis d’espérer que la peinture murale exercera sur l’école française une action salutaire ; mais pour réformer le goût, il conviendrait d’apporter un peu plus de discernement dans le choix des sujets. Il y a telle donnée dont le pinceau le plus habile ne pourra jamais tirer parti. Quand l’épisode proposé à la peinture est ignoré du plus grand nombre des spectateurs, l’artiste qui doit le traiter ne se met pas à l’œuvre avec ardeur. À mesure qu’il avance dans sa besogne, il sent qu’il ne lui est pas donné de réveiller des souvenirs absens. Il a beau chercher à rendre claire l’action qu’il a entrepris d’exprimer, tous ses efforts viennent échouer contre l’obscurité des personnages. Si d’ailleurs la peinture murale n’a pas encore rendu les services qu’elle est appelée à rendre, c’est qu’elle n’est pas rétribuée comme elle devrait l’être. Quelques artistes privilégiés reçoivent un magnifique salaire ; le plus grand nombre trouve à peine dans le travail d’une année l’équivalent de deux ou trois portraits. Aujourd’hui, pour décorer une chapelle, à moins de porter un nom retentissant, il faut faire preuve d’abnégation et se contenter d’une récompense plus que modeste. L’administration municipale, qui a bien fait de recourir à la peinture murale pour l’embellissement de nos églises,