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père, Misithée, préfet du prétoire, paraît avoir joué auprès de lui le rôle d’un maire du palais. Dirigé par cet homme ferme et intelligent, Gordien III fit une campagne heureuse contre les Perses.

Cette famille des Gordiens se rattachait par son extraction aux plus beaux noms de la république et de l’empire, aux Scipions, aux Gracques, à Trajan. Elle se montra peu digne de cette origine doublement illustre. Les Gordiens, très grands personnages, furent de très petits empereurs. Ils montrent ce qu’était devenue l’aristocratie romaine dégénérée. Le premier, honnête et pusillanime, comme le prouvent son élection et sa mort, était un peu replet et avait dans l’air du visage quelque chose de solennel et de théâtral (pompali vultu). Il aimait et cultivait les lettres. Son fils également se fit quelque réputation en ce genre, grâce surtout à sa bibliothèque de soixante mille volumes ; mais il avait d’autres goûts encore que celui des livres : on lui donne jusqu’à vingt-deux concubines en titre, et de chacune d’elles il eut trois ou quatre enfans. Il menait une vie épicurienne dans ses jardins et sous des ombrages délicieux : c’étaient les jardins et les ombrages d’une villa magnifique que les Gordiens avaient sur la voie Prénestine, et dont Capitolin, au temps duquel elle existait encore, nous a laissé une description détaillée. Le péristyle était formé de deux cents colonnes des marbres les plus précieux, le cipollin, le pavonazetto, le jaune et le rouge antiques. La villa renfermait trois basiliques et des thermes que ceux de Rome surpassaient à peine. Telle était l’opulence d’une habitation privée vers le milieu du IIIe siècle de l’empire. Les particuliers avaient chez eux des thermes et des basiliques, mais les maîtres de ces magnifiques demeures étaient des hommes sans énergie qui se tuaient au premier revers, comme Gordien le père, qui vivaient dans un harem à l’orientale, comme Gordien le fils. Ce contraste entre le grandiose des existences romaines d’alors et la médiocrité morale de ceux qui en jouissaient nous est rappelé par les considérables débris de la villa des Gordiens, que l’on croit reconnaître dans l’amas de ruines connu sous le nom de torre dei schiavi, bien que l’on n’y puisse retrouver aucun des édifices dont il est parlé dans la description de Capitolin.

Le troisième Gordien avait projeté, probablement sous l’inspiration de son beau-père, un vaste ensemble de constructions, un square de mille pieds entouré de portiques, et attenant à une basilique de cinq cents pieds avec des thermes d’été et des thermes d’hiver ; mais un Arabe, le préfet du prétoire, Philippe, fit tuer d’abord Misithée, puis le dernier des Gordiens, avec lequel il dédaigna de partager l’empire. Le lâche Gordien demanda à être préfet du prétoire sous celui qui l’avait détrôné. Refusé par Philippe, il supplia