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papiste, dit-il, et qui a entamé nos vieilles et fortes mœurs. L’amour du comme il faut est uni indissolublement à toutes les opinions despotiques : c’est le meilleur auxiliaire du papisme, de la tyrannie continentale et de l’immoralité populaire. Notre église, par crainte de n’être pas comme il faut, met le plus de papisme qu’elle peut dans ses cérémonies et sa liturgie. Notre aristocratie, pour être comme il faut, se croit tenue d’admirer le despotisme et de regretter ces bons Stuarts, modèles achevés de gentilily et de perfidie. Observez les effets désastreux que cette rage stupide a déjà produits dans d’autres sociétés, celles des juifs, des gypsies et des quakers par exemple. C’étaient des sociétés poétiques, pittoresques, curieuses, et maintenant elles aussi roulent dans les ornières de la platitude, car le comme il faut est synonyme de vulgarité. Hélas ! toutes ces communautés sont honteuses d’elles-mêmes et abandonnent pour des oripeaux et du clinquant leur or et leurs diamans. Les riches juifs, par bon ton, désertent la synagogue pour l’opéra ou pour la chapelle des gens bien élevés, où un disciple du papisme prêche en surplis blanc un sermon soporifique. Ils abandonnent leur vieille littérature, leur Mischna, leur Gemara, leur Zohar, pour lire des romans fashionables, le Jeune Duc, par exemple, œuvre d’un israélite de bon ton. Le jeune juif a honte de la jeune juive, il se marie à quelque danseuse, et si la danseuse ne veut pas de lui, ce qui arrive souvent, à la fille endommagée de l’honorable tel ou tel. Et nos gypsies, nos chers gypsies, la rage du comme il faut a bouleversé leurs mœurs. Elle rend leurs femmes ce qu’elles n’étaient pas autrefois, harlots ; elle transforme les hommes en pères et en époux insoucians. Ils veulent, eux aussi, faire les gentlemen. Gorgiko Brown veut être pris pour un commerçant honorable, et essaie de s’insinuer dans les hôtels fréquentés par une bonne compagnie de troisième ordre. Et les quakers qui se mêlent à leur tour d’aspirer à la gentility et cherchent à se faufiler dans des sociétés où l’on n’a que faire de leur personne, où on ne les met pas à la porte par cette seule raison qu’ils sont riches ! Et quelle mauvaise littérature enfante cette passion effrénée du faux ! quels plats romans de la vie élégante ! Quels insipides traités religieux ! quelles sentimentalités sur les cathédrales du moyen âge et les Stuarts ! Le cœur se soulève de dégoût. Et nos partis politiques ! le comme il faut a opéré un vrai prodige : il les a détruits et fondus en un seul. Plus de tories, de whigs ni de radicaux ! tous gentlemen !

Le comme il faut, le faux idéal des belles manières et du bon ton, paraît donc à M. Borrow le poison secret de l’Angleterre, le levain qui aigrit toute la pâte sociale. Le comme il faut est le proche parent du cant et de l’hypocrisie, le générateur de tous les sentimens