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plaisamment racontées, n’aient un piquant bien supérieur à celui de cette insignifiante causerie, saisie au vol, reproduite au vif ; mais la satire de Rochester complète bien pour les curieux les anecdotes des Mémoires. Elle en fournit le fond, les figures épisodiques, les groupes d’arrière-plan. Vienne maintenant un Walter Scott, des unes et de l’autre il recomposera toute une journée de la vie anglaise en 1667. Là est la valeur, là est l’emploi de ces documens qu’on recueille de tous côtés avec tant de soin. L’érudition les exhume, le génie les fait revivre.

Rochester a non pas traduit, mais imité le Repas ridicule de Boileau. Il en a fait le sujet d’une de ces adaptations, — c’est le mot anglais, — que nos vaudevilles subissent en passant la Manche. Comme dans l’original, un court dialogue inaugure le récit que le poète Timon va nous faire de ses malheurs. Un sot le rencontra dans Pall-Mall, et bon gré mal gré l’entraîna dîner chez lui. Quelques beaux esprits de sa connaissance devaient, assurait-il, être de la fête ; mais au lieu de Buckhurst, de Sedley, de Savile (au lieu de Lambert et de Molière), il rencontre un affreux trio de matamores (bullies) se mêlant mal à propos des « choses d’esprit. » Pour comble de malheur, l’amphitryon est marié, marié à une beauté sur le retour, qui, regrettant ses triomphes passés, trouve toujours moyen de ramener la conversation, — si loin qu’elle s’égare, — sur la berge du fleuve de Tendre.


«… Nous en vînmes, dit le malheureux convive, à parler des conquêtes du roi de France. Milady s’étonna tout aussitôt que le ciel pût accorder tant de succès à un homme capable de mener de front une double intrigue… Elle se demandait aussi comment sa majesté pouvait se justifier auprès de l’une et de l’autre maîtresse… Puis elle s’avisa de s’enquérir, — parlant à son brutal voisin, — s’il avait jamais ressenti, lui aussi, les ardeurs de l’amoureuse flamme ? — Eh ! lui répondit-il brusquement, pour quoi donc me prenez-vous, s’il vous plaît ? »


Nous donnons le sens, non les termes de cette impertinente réplique. Voilà pour le ton général de l’entretien. Quant à la chère, elle est tout à fait anglaise. L’hôte de Timon professe un patriotique mépris pour la cuisine étrangère. — « Ici, s’écrie-t-il, point de ragoûts singuliers ni d’énigmes culinaires : ni entremets, ni fricassées, ni Champagne. Parlez-moi du roast-beef de famille, arrosé d’une bonne tierce de bière, telle que le Taureau la fournit[1]. » Arrivent effectivement un morceau de bœuf « sous lequel plieraient les reins d’un cheval, » un plat de carottes longues, un quartier de porc, une oie,

  1. La tierce était le tiers de la pipe (anciennes mesures), comme le quartaut était le quartv — Le Taureau (the Bull) était une célèbre brasserie et taverne de ce temps-là. On disait le taureau comme on dit Barclay et Perkins.