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tellement authentique de l’avènement du Christ et de sa mort rédemptrice, que la conviction se fit jour tout aussitôt dans son esprit, jusque-là rebelle. Il pria sa femme, il pria sa mère de lui relire tour à tour ces paroles qui « le pénétraient, disait-il, comme autant de flèches lumineuses, » et finalement, un mois à peu près avant que ses terribles souffrances n’eussent leur terme, il se réconcilia complètement avec l’église.

Ce fut alors qu’il rappela près de lui le premier instrument de son retour aux idées dont il acceptait l’empire. « Je commence, lui disait-il dans sa lettre (25 juin 1680), à regarder les ecclésiastiques comme bien supérieurs au reste des hommes, etc. » Bien plus, il se fit, à son tour, agent de conversion. Préoccupé jadis de calculs mondains pour l’avenir de sa race, il avait obtenu que sa femme embrassât le catholicisme, alors que le catholicisme semblait devoir prédominer à la cour et redevenir la religion de l’état ; il la ramena lui-même dans le sein de l’église anglicane. Il ne voyait plus un de ses anciens compagnons de plaisirs sans l’entretenir des vengeances célestes et du néant des joies humaines. Enfin il devint pour ses domestiques… ce qu’il n’avait jamais été, — un maître patient et doux. Certain jour qu’emporté par l’habitude, il se plaignait, comme jadis, d’un « damné maladroit » qui lui avait déplu en quelque service : — « Quel est donc ce langage ? l’entendit-on s’écrier, se reprenant aussitôt. Et qui donc plus que moi mérita jamais d’être damné ? »

Plusieurs lettres, écrites ou du moins signées par lui pendant ces dernières semaines de sa vie, ont servi à démontrer, — contrairement à un bruit public fortement accrédité, — que Rochester avait gardé jusqu’au bout la pleine possession de ses facultés mentales. En revanche, pour qui les lit de sang-froid, elles attestent que la débilité de son corps épuisé n’avait pas été sans exercer quelque influence sur la vigueur et la clarté de sa remarquable intelligence. Nous n’en voudrions, au besoin, d’autres preuves que la rédaction même d’une profession de foi solennelle qu’il écrivit, et fit contresigner par deux témoins (sa femme et son chapelain), « pour le bénéfice de tous ceux qu’il pouvait avoir entraînés au péché, soit par ses encouragemens, soit par son exemple[1]. »

Rongé d’ulcères, réduit à la condition de squelette, incapable de se soutenir sur son lit de tortures, Rochester survécut encore plus d’un mois, et ne rendit l’âme que le 26 juillet 1680. Ses derniers instans furent calmes : pas une convulsion, pas un gémissement. La mort, qui le frappait à trente-trois ans, le trouvait plus usé, plus affaibli que ne le sont quelquefois les centenaires. Il fut enterré près

  1. Ce document curieux est daté du 19 juin 1680. Après la signature : J. Rochester on lit ces mots : Déclaré et signé en présence d’Anne Rochester et de Robert Parsons.