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qui nous était chère et qui effaçait toutes les autres ? Qu’est devenue l’espérance de son père nourricier ? Le vieillard est assis sans force dans la cabane ; il attend, mais en vain, un mot, un seul mot sur le sort de la guerre. Sa patrie est-elle libre ou vaincue ? Il n’entend point le langage des oiseaux, il ne sait point expliquer les cris du corbeau ; nul étranger n’apportera de nouvelles dans son désert… Et le jeune homme, qui était son seul espoir, interroge et écoute un cœur de femme !

« Lorsque, pendant un soir d’été, au milieu du repos de la nature, pareil au repos du dimanche, tout à coup la trombe inaperçue, rapide comme la flèche, s’abat dans le sein du lac au fond des bois, la plante est encore immobile, nul souffle n’agite l’arête aiguë du pin, calmes sont les grands arbres, calme la fleur sur les bords escarpés, mais dans les profondeurs de l’abîme gronde déjà la tourmente. Ainsi le jeune homme, à mesure que le chant frappe ses oreilles, reste muet, soucieux, immobile, mais à chaque parole sent battre plus vivement son cœur. Tout le soir il demeuré assis près de la jeune fille, puis, en même temps que le vieillard va prendre le repos. Le premier il semble dormir, mais, longtemps avant que nul soit éveillé, aux premières lueurs rougeâtres du matin, seul il se glisse hors de la cabane.

« Le jour est venu ; le soleil monte à l’horizon, mais ils ne sont plus que deux à s’éveiller dans la pauvre demeure. La jeune fille prépare le repas du matin, mais ils ne sont que deux à s’asseoir devant la table. Le repas de midi vient ensuite, et celui qu’on attend n’a point reparu. Le front du vieillard est encore sans nuage, les yeux de la jeune fille encore sans larmes ; mais après le repas ni l’un ni l’autre ne goûte le repos auquel invite le dimanche. Une heure se passe, semblable à celle où la nuée orageuse se forme dans les cieux. Le vieillard essaie quelques mots de consolation : « La ville est loin, ma fille ; les chemins sont difficiles ; les pluies d’automne ont grossi les ruisseaux et rempli les fondrières ; les passages ne sont pas partout préparés ; il est parti aux premières lueurs du jour ; il ne peut guère être de retour avant ce soir. »

« Sa fille l’écoute sans attention. La fleur ferme son calice au vent du soir ; ainsi son cœur, à elle, enferme sa pensée. Bientôt pourtant une larme coule sur sa joue, son front s’incline, et elle chante : « Combien, quand un cœur a rencontré un cœur, ce qui avait tant de prix naguère devient peu de chose ! Terre, ciel, patrie, père, mère, qu’êtes-vous alors ? Dans un embrassement, celui qui aime a reçu plus que la terre ; dans un regard, il a vu plus que le ciel ; plus fort que le conseil d’une mère, plus fort que la volonté d’un père est le soupir à peine entendu. Quelle puissance plus habile à charmer que l’amour ! Point d’obstacles pour celui qui aime. Les lacs s’étendent ; il les traverse comme le souffle du vent. Les montagnes s’élèvent ; il a les ailes de l’aigle… Et longtemps avant le repas de midi il est de retour celui qu’on n’attendait que bien tard, le soir ! »

« Le vieux père a entendu les plaintes de sa fille. Inquiet et chagrin, il sort en silence de la cabane ; il s’en va à la recherche, il prend le sentier à peine frayé ; le soleil atteignait les cimes des bois quand, déjà fatigué, il arrive à la ferme la plus prochaine.

« Pareille au pin qui, respecté par l’incendie, se dresse tout seul sur la