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les poètes païens qui ne comprennent plus leur religion ; c’est une figure touchante quand on la voit naître et grandir chez les pauvres habitans des côtes. Les pères de l’église, qui se moquent avec tant de verve et triomphent si aisément de l’absurdité des dieux païens (c’est une remarque très fine de M. Renan), obéissent à la même inspiration que Voltaire, lorsque le grand railleur du xviiie siècle ne voit que matière à bouffonneries dans les plus touchantes créations de la foi du moyen âge.

Les principes de M. Renan s’appliquent-ils avec une autorité aussi légitime à l’histoire des traditions hébraïques ? Ici la question devient plus brûlante. Nous touchons à des choses que bien des esprits considèrent, à tort selon moi, comme indissolublement liées aux intérêts de la foi chrétienne. Il faut pourtant bien s’enhardir à regarder en face les résultats de la critique. C’est une mauvaise manière de se défendre que de fermer les yeux ou de se réfugier dans les nuages. Il faut surtout s’accoutumer à cette idée, que la destruction d’un faux argument sur lequel la foi s’appuyait ne peut faire tort à une religion solidement assise dans le cœur de l’homme. Au commencement du XVIIe siècle, on croyait la foi intéressée à ce que les découvertes de Galilée fussent déclarées inexactes, et certains esprits, au lieu d’accepter vaillamment les conquêtes de la science, condamnèrent l’astronome florentin au nom d’une croyance aveugle. Si la philologie moderne a rectifié pièces en main l’histoire du peuple d’Israël, la foi qui s’alarmerait d’une vérité de détail démontrée par la critique serait une foi bien pusillanime. Les vues émises par M. Renan dans son étude sur les traditions hébraïques sont neuves de ce côté-ci du Rhin ; il y a longtemps qu’elles ont cours en Allemagne et qu’elles n’y déconcertent plus les âmes sérieusement chrétiennes. Je ne dis pas cela pour diminuer le mérite de M. Renan, car il a su renouveler son sujet avec des idées qui lui sont propres ; je veux montrer que cette histoire du peuple d’Israël, dont tant d’esprits parmi nous ont été scandalisés mal à propos, non-seulement est une légitime conquête de la critique, mais ne doit causer aucun trouble à une foi religieuse philosophiquement établie. J’ai causé souvent avec des théologiens catholiques de l’Allemagne du midi, et je me disais, en les quittant, qu’ils seraient eux-mêmes bien scandalisés de la pusillanimité des esprits religieux dans notre France. Au fond, de quoi s’agit-il ici ? M. Renan est-il un disciple de Voltaire ? Les révélations qu’il fait au nom d’une philologie exacte sur les différentes phases du peuple d’Israël, sur le caractère de David, sur le rôle des prophètes, sur le mélange des idées persanes et des traditions juives, ressemblent-elles aux bouffonnes invectives des philosophes du XVIIIe siècle contre le peuple de Dieu ? Le grand caractère de la race juive est-il méconnu ? Jamais peut-être ce caractère