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profondeurs de l’abîme géologique, mais non comme nécessairement les premiers nés de la création. Tout en admettant avec sir R. Murchison l’hypothèse du développement de la vie en rapport avec l’ordre chronologique des terrains, il n’est guère permis de croire que l’odhamia lui-même, le plus ancien des fossiles connus, mais non le plus rudimentaire des animaux, ait été le premier habitant des mers. Cet être d’une forme si simple a dû être précédé par des êtres d’une forme plus simple encore : l’ancêtre de la faune silurienne a dû avoir d’autres ancêtres. C’est peut-être l’enfance de la vie : ce n’en est pas le commencement. Mais où chercher la trace d’un ordre de choses primitif ? Les montagnes siluriennes, ruines elles-mêmes, contiennent d’autres ruines. Au sein des roches du Longmynd, les géologues découvrent des conglomérats de cailloux roulés qui ne se rapportent à aucune des roches maintenant debout sur la terre. Ces cailloux proviennent par conséquent d’ouvrages plus anciens : ce sont les fragmens d’autres montagnes, d’autres rivages, peut-être même de continens, que des mers antérieures ont brisés, détruits, émiettés. Il y a, on le voit, très peu d’espoir de retrouver jamais les origines de la vie à la surface de notre globe, puisque cette page de la genèse des faits a été déchirée. Il y a quelques années, les géologues aimaient à reposer leurs yeux dans cette longue nuit des âges sur une limite idéale à partir de laquelle les plantes et les animaux auraient commencé à paraître. Aujourd’hui cette ligne de démarcation entre les terrains qui ne récèlent aucuns vestiges d’êtres organisés et ceux qui contiennent des fossiles s’efface presque en s’étendant parmi des ruines. À l’horizon du monde primitif se dessine vaguement une série d’autres mondes qui ont disparu. Il faut donc se résigner peut-être à perdre la source de la vie dans ces époques muettes, où le temps succède au temps, jusqu’à ce qu’il revête un masque d’éternité. Le fleuve de la création est comme le Nil, qui cache sa tête, dit Bossuet.

Quoi qu’il en soit, le moment est venu de nous faire une idée de cette faune silurienne que sir R. Murchison désigne, lui, sous le nom de protozoïque. On découvre dans le Shropshire et le pays de Galles, selon l’âge des montagnes, trois zones de la vie. D’abord les graptolithes ont laissé dans un trait de plume, pour ainsi dire dans une virgule, la trace de leur existence obscure. Un autre fossile caractéristique des très anciennes roches est un mollusque à coquille plate, la lingula. Cette coquille est cornée et très légèrement calcaire. On en a conclu que la couverture de ce bivalve se trouvait adaptée aux conditions d’une mer dont le fond était composé de boue et de sable, mais qui contenait peu ou point de chaux pour fournir à la construction d’une enveloppe plus dure. La famille à laquelle appartient