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la lingula a laissé dans les montagnes du pays de Galles des dépouilles si abondantes, que sir R. Murchison appelle les temps géologiques, dont ces montagnes sont les immenses tombeaux, l’âge des brachiopodes. Ici s’arrête, ou peu s’en faut, le premier horizon de la vie silurienne. Montons, et nous découvrirons dans les lignes flexueuses d’autres roches, celles du Llamberis par exemple, l’étage moyen du système dans lequel apparaissent les mollusques et les animaux articulés des antiques mers ; enfin dans la perspective même du paysage, comme dans le tableau des temps, se dessine la troisième zone des êtres créés. Les céphalopodes (orthoceratites) vivaient alors leur libre vie au sein des vastes mers qu’ils parcouraient en nageant. Leur organisation indique qu’ils ont dû jouer le rôle d’animaux de proie. Chaque âge de la terre a eu son tyran. L’orthocératite était le Nemrod des mers siluriennes. L’imagination des naturalistes aime à se représenter ce chasseur attaquant sa victime à la surface des eaux, la poursuivant dans les plus profonds abîmes, l’enlaçant dans ses longs bras, l’étouffant et la portant ensuite à sa puissante bouche, qui avait la forme d’un bec de moineau. Un autre animal particulier était le trilobile, sorte de cloporte marin, fameux par la structure de ses yeux, dont quelques-uns ont été obtenus à un état de conservation parfaite. Formé de quatre cents lentilles ou facettes sphériques posées à la surface d’une cornée, l’œil de cet animal lui permettait de voir en même temps tout ce qui se passait autour de lui, à la surface comme au fond de la mer où il vivait. Un appareil si curieux a servi aux philosophes de la nature pour résoudre un problème intéressant, celui de savoir si les anciennes mers étaient aussi transparentes que les mers actuelles. On s’est dit que si l’atmosphère avait été très éloignée des conditions de l’air qui nous environne, ou si les eaux eussent été constamment troublées et agitées, nous retrouverions une anomalie correspondante dans l’organe des animaux destiné à recevoir la lumière. L’un des premiers êtres qui se montrent dans ces âges reculés nous raconte ainsi l’histoire météorologique du monde où il vécut, et cela par un seul organe, l’œil[1]. Le souvenir de ces créatures dans ces mêmes lieux où elles ont vu le jour console en quelque sorte la solitude du paysage au pied de ces montagnes taciturnes

  1. Si étranges que soient ces premières formes de la vie, elles étonnent par un caractère de beauté. Combien les lignes en sont admirables et pour ainsi dire tracées de main de maître ! Que les ornemens en sont délicats ! Cette perfection de travail chez les plus anciens êtres vivans a souvent donné lieu à une confusion de mots. Par développement des organismes, il ne faut pas entendre une amélioration dans le dessin des créatures : les premières étaient admirablement conformées dans leur genre ; mais d’époque en époque des formes nouvelles s’ajoutent aux formes anciennes : là est le progrès.